Le mot de Gérard Lhéritier Président du Musée des Lettres et Manuscrits - Président de la société Aristophil
Un hommage à Jean Cocteau
À l’occasion du 50ème anniversaire de la disparition de Jean Cocteau, le Musée des Lettres et Manuscrits lui rend hommage avec une exposition intitulée « Jean Cocteau le magnifique. Les miroirs d’un poète » présentant plus de 150 manuscrits et lettres autographes, ouvrages illustrés et éditions originales, dessins, photographies et affi ches, dont un grand nombre d’inédits. En parcourant cette exposition, le visiteur pourra passer de l’autre côté du miroir, objet phare de la mythologie personnelle de Jean Cocteau, afin de découvrir la personnalité de cet homme dont l’étoile, autre symbole, graphique celui-ci, maintes fois représenté, brilla durant plus de 60 ans au panthéon de la vie littéraire et artistique française. À la fois poète, romancier, dramaturge, dessinateur, décorateur, cinéaste... Jean Cocteau demeure aujourd’hui une référence, une source d’inspiration inépuisable pour nombre de créateurs de Jean-Luc Godard à Arielle Dombasle. Les pièces maîtresses de cette exposition sont le manuscrit du scénario original du fi lm La Belle et la Bête, chef-d’oeuvre classé « Trésor national », accompagné du manuscrit autographe du journal de ce film et de photographies prises lors du tournage, ainsi que Le Mystère de Jean l’Oiseleur, oeuvre poétique mêlant écriture et dessin.
Dans le cadre de cette exposition, seront présentées plusieurs lettres relatives au couple mythique que formèrent Jean Cocteau et Jean Marais de 1937 à 1949, choisies parmi l’abondante correspondance entre ces deux monstres sacrés conservée par le Musée des Lettres et Manuscrits. Cette liaison qui inspira fortement le dramaturge et le cinéaste, donna naissance à des oeuvres majeures comme LaBelle et la Bête, L’Aigle à deux têtes, Les Parents terribles et Orphée dont Jean Marais fut l’inoubliable interprète passant du monde visible au monde invisible à l’aide d’un miroir.
Un hommage à Edith Piaf
Cette exposition inédite est également l’occasion de présenter un hommage à Edith Piaf, amie de Jean Cocteau, à travers différents écrits et photographies : correspondance qu’elle entretenait avec son amant Louis Gérardin, lettre écrite le jour de la mort de Marcel Cerdan, manuscrit du monologue de Cocteau écrit à son attention (Le Fantôme de Marseille), photographie prise lors des répétitions du Bel indifférent… Apprenant la mort d’Edith Piaf, Jean Cocteau aurait déclaré « C’est le bateau qui achève de couler. C’est ma dernière journée sur cette terre ». Jean Cocteau s’éteindra quelques heures après Edith Piaf, le 11 octobre 1963.
Le mot des commissaires de l'exposition - Pascal Fulacher et Dominique Marny
Les miroirs d’un poète
Le miroir fait partie de la mythologie personnelle de Jean Cocteau. Surface lisse qui rappelle celle d’une eau dormante, le miroir surprend, étonne, fascine autant qu’il réfléchit, rassure ou déclenche la crainte. Immobile, il renvoie à l’infi ni les mouvements de celui qui lui fait face, mais n’a pas de mémoire. Enfant, Cocteau est réceptif aux pouvoirs magiques de cet objet dans les contes de fées dont Blanche Neige et les sept nains. Plus tard, il le sera au mythe de Narcisse. Qu’existe-t-il derrière la plaque de verre recouverte d’une fi ne couche d’argent ? Cette énigme ne peut que l’attirer et lui insuffler le désir de l’exorciser… Lorsqu’il scrute son image dans le miroir, le jeune Cocteau ne se trouve pas séduisant. Un visage anguleux, des yeux à fleur de tête, des cheveux raides, une silhouette chétive. En classe de cinquième, il découvre son idéal masculin. L’élève Dargelos est beau, sauvage, insoumis. A défaut de lui ressembler, il va tenter d’exister autrement. Orphelin d’un père qui s’est suicidé quand il avait 9 ans, Cocteau a besoin du regard des autres pour trouver sa place dans une société en pleine mutation. En 1910, il fréquente les salons littéraires et publie trois recueils de poèmes qu’il reniera par la suite. La venue à Paris et la modernité des Ballets Russes lui font comprendre qu’un vieux monde est en train de disparaître et qu’il est nécessaire de trouver une voie nouvelle. En 1917, il s’entoure de Picasso et de Satie pour créer le spectacle Parade. Le scandale est immense, mais Cocteau ne déteste pas cette odeur de soufre. Elle deviendra même un ferment pour l’œuvre à venir. Le regard de Raymond Radiguet, qui n’a que 16 ans lorsqu’il le rencontre, devient « sa » référence. Dans ce miroir vivant, il aimerait trouver un écho aux sentiments qui l’animent. Radiguet ne sera qu’un éphémère compagnon d’écriture. En 1923, il meurt à l’âge de 20 ans d’une fièvre thyphoïde. Ce décès anéantit Cocteau qui, pour atténuer son mal de vivre, noue des liens puissants et durables avec l’opium. A défaut de se retrouver dans les yeux du disparu, il guette son reflet dans le miroir de sa chambre à l’hôtel Welcome où il réside dans le port de Villefranche-sur-mer. Cette confrontation sans concession donne naissance au Mystère de Jean l’Oiseleur, l’une de ses plus belles oeuvres poétiques. Composée de trente et un autoportraits autour desquels il écrit les phrases qui lui traversent l’esprit, cette série de dessins renseignent quant à son désespoir. En 1930, il accepte la proposition des mécènes Marie-Laure et Charles de Noailles. Depuis longtemps, il pense que sa poésie perd de son intensité en étant traduite dans des langues étrangères. Pourquoi ne pas tourner le fi lm pour lequel ils lui donnent carte blanche et laisser les images « parler » d’elle-mêmes ? Ce sera Le Sang d’un poète. Remplaçant le miroir, l’écran – autre surface lisse – sert de support à son univers. On y voit la première traversée silencieuse d’un miroir qui « ferait bien de réfléchir un peu avant de renvoyer des images. » Ce « voyage » figurera à nouveau, en 1950, dans Orphée. Joué par Jean Marais, Orphée se prépare à traverser le miroir qui sépare les mondes visible et invisible. - « Auriez-vous peur », lui demande Heurtebise (François Perier) qui le pousse à tenter l’expérience. – « Non, mais cette glace est une glace ». – « Il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de croire ». Entre-temps, Cocteau a joué avec la puissance divinatoire du miroir dans La Belle et la Bête. Défi ant l’espace-temps, il permet à la jeune fille de voir « ailleurs ». Ainsi, à travers des décennies de création, le miroir est devenu un objet indispensable au poète. Ce regard sans concession où le temps défi le avec une inexorable lenteur, lui rappelle la fi n programmée. « Les miroirs sont les portes par lesquelles entre la mort. Regardez toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler sur vous ». Le 11 octobre 1963, à l’âge de 74 ans, il accomplira à son tour le voyage vers le mystère et les « valeurs secrètes » qui l’ont toujours intrigué, voire obsédé. Si l’on se penche sur la symbolique du miroir, il était appelé autrefois speculum. Les anciens l’utilisaient pour scruter le mouvement des constellations. Cocteau ne l’ignorait sans doute pas. Est-ce la raison pour laquelle l’étoile est elle aussi entrée dans sa mythologie ?
La scénographie et le parcours de l'exposition
La salle d’exposition temporaire du Musée des Lettres et Manuscrits, dans une mise en scène intimiste, met en lumière la personnalité artistique de Cocteau et laisse la part belle aux œuvres originales. Les miroirs, et plus précisément les reflets du miroir sont le fi l conducteur de cette exposition consacrée au prince des poètes, Jean Cocteau. Cette présentation propose cinq miroirs : des premiers regards évoquant son enfance, sa jeunesse, l’entrée en poésie, l’apparition de l’étoile, le merveilleux, la traversée du miroir, et enfin ses amitiés, ses influences…
Parcours de l’exposition :
Partie I. 1889-1916. Premiers regards : l’enfance, l’élève Dargelos, la jeunesse, les salons littéraires, recueils de poèmes, les Ballets Russes.
Partie II. 1917-1929. L’entrée en poésie : Parade, parution du Potomak, Radiguet, mort de Radiguet, Plain-chant, Orphée au théâtre, prise d’opium, Villefranche-sur-Mer, Le Mystère de Jean L’Oiseleur, L’Ange Heurtebise, Le Livre blanc, Les Enfants terribles (roman), Opium.
Partie III. 1930-1942. Apparition de l’étoile : La Voix humaine, Le Sang d’un poète, la princesse Natalie Paley, La Machine infernale, Le Tour du monde en 80 jours, Jean Marais, Les Chevaliers de la Table ronde, Les Parents terribles.
Partie IV. 1942-1949. Le merveilleux : L’Eternel Retour, La Belle et la Bête. Le double : L’Aigle à deux têtes (pièce et film).
Partie V. 1950-1963. La traversée du miroir : Orphée (film), Le Testament d’Orphée (film), dernier automne à Milly.
Focus sur deux œuvres majeures
La Belle et la Bête, un hymne à la beauté de l’âme
« L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute. Elle croit que les mains d’une bête humaine qui tue se mettent à fumer et que cette bête en a honte lorsqu’une jeune fi lle habite sa maison. Elle croit mille autres choses en la matière. C’est un peu de cette naïveté que je vous demande et, pour porter chance à tous, laissez-moi vous dire quatre mots magiques, véritables «Sésame, ouvre-toi» de l’enfance : « Il était une fois…». » Texte extrait du film La Belle et La Bête. Dans l’univers de Jean Cocteau, la poésie tient une place primordiale. Celle-ci est omniprésente dans ses oeuvres. Que ce soit dans sa « poésie de roman », sa « poésie de théâtre », ou dans sa « poésie graphique », elle se retrouve dans sa « poésie de cinéma ». Par le biais du 7è art, Cocteau va révéler ses multiples talents à un plus large public. Car, ce Prince des poètes est un véritable magicien des mots mais aussi celui de l’image. Ses fi lms nous transportent dans ses voyages oniriques, au-delà du miroir, dans des royaumes imaginaires. Plusieurs de ses chefs-d’oeuvre cinématographiques invitent le spectateur à prendre place au Pays des fées. Le film La Belle et la Bête en est un exemple signifi catif. Ecrit et réalisé en 1946 par Jean Cocteau, d’après un conte de Mme Leprince de Beaumont, « ce conte de fées pour adultes » est un véritable hymne à la beauté de l’âme. Cocteau cinéaste signe ici son deuxième long-métrage, quinze ans après Le Sang d’un poète.Toute la genèse du fi lm est ici retracée à travers trois documents exceptionnels : le manuscrit autographe donnant l’histoire, paroles et mise en scène du fi lm, avec 8 pages de dessins originaux ; un album de 89 photos de plateau, représentant les scènes du fi lm, les répétitions, les séances de maquillage… et l’affiche du film.
Le Mystère de Jean l’Oiseleur, une oeuvre poétique mêlant écriture et dessin
C’est dans sa chambre de l’hôtel Welcome à Villefranche-sur-Mer, en octobre 1924, que Jean Cocteau dessine les 31 autoportraits (dont 14 en couleurs) qui formeront l’une de ses plus belles œuvres poétiques : Le Mystère de Jean l’Oiseleur. En mêlant écriture et dessin, le poète se livre à une véritable introspection. Le rectangle de la feuille s’apparente dès lors à un miroir, cette surface lisse et froide « qui ferait bien de réfléchir avant de renvoyer des images », et qui deviendra le passage obligé entre les mondes visibles et invisibles, entre la vie et la mort. Cocteau scrute ses propres traits à travers ces dessins et capture les pensées qui lui viennent à l’esprit à cet instant précis. Au fil de la trentaine de dessins, il évoque Rome, Uccello, les étoiles, Mozart, Radiguet (qui vient de succomber des suites d’une fièvre typhoïde, disparition d’un être cher dont il ne se remettra jamais vraiment et qu’il aspire à rejoindre), et tant d’autres figures qui ont marqué son existence. Exécutés sous l’effet de l’opium, face à la mer, ces autoportraits expressifs aux traits anguleux, presque décharnés, sont saisissants de vérité, révélant l’infini chagrin de l’auteur, mais aussi le regard qu’il porte sur lui-même, sans concession ni fioriture, d’un oeil vif et perçant pareil au diamant. Un exercice périlleux pour cet homme qui n’apprécie guère son enveloppe charnelle mais qui prend néanmoins soin de sa tenue vestimentaire. Les 31 dessins ainsi réalisés seront finalement publiés l’année suivante, en 1925, chez Edouard Champion, sous un titre énigmatique Le Mystère de Jean l’oiseleur. Si l’oiseleur attrape des oiseaux à l’aide de filets, Cocteau saisit à travers ses dessins, sa propre image, ses propres réflexions du moment. Un instant rare dans la vie du poète où sa poésie se mêle à ses dessins dans une parfaite unité de style.
Jean Cocteau et Jean marais, une amitié étoilée
C’est lors d’une audition en 1937 pour sa nouvelle pièce Oedipe-Roi que Jean Cocteau fait la rencontre de Jean Marais qui marqua sa vie. Ce débutant de 23 ans, aux traits et à la silhouette proches de celles que le poète a l’habitude de dessiner, est aussitôt engagé pour jouer dans OEdipe-Roi qui sera programmé au Théâtre Antoine à partir du 12 juillet. Le corps enveloppé de bandelettes blanches créées par Chanel, Jean Marais, dont la présence sur scène est remarquée dès les premières représentations, ne va pas tarder à conquérir son public… et le coeur de Jean Cocteau. « Mon Jeannot, comment te remercier de ce miracle. De cette étoile sous laquelle tu marches et qui est une vraie étoile à côté de mon étoile écrite » lui déclare-t-il dans l’une des premières lettres qu’il lui adresse. Dès lors, Jean Marais enchaînera les rôles tant au théâtre qu’au cinéma, rôles qui lui seront confi és dans un premier temps par son protecteur : Les Chevaliers de la Table ronde, LesParents terribles (pièce et film), L’Eternel retour, La Belle et la Bête, L’Aigle à deux têtes, Orphée… Partageant le même appartement, un petit deux pièces situé rue de Montpensier donnant sur les jardins du Palais-Royal, les deux Jean, connaissent une liaison passionnelle à laquelle fera suite une affection profonde. Cocteau, très épris, continuera pendant des années à glisser chaque soir sous la porte de sa chambre une missive à son bien-aimé. En 1947, à l’issue du tournage de La Belle etla Bête, ils acquièrent ensemble la maison de Milly-la-Forêt. Accaparé par la célébrité, Jean Marais s’éloignera peu à peu de Jean Cocteau, faisant place à un nouveau venu : Edouard Dermit.
Pour la reproduction des visuels de l'exposition © ADAGP, Paris 2014. « Avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du Comité Jean Cocteau. Coll. privée / Musée des lettres et manuscrits, Paris »