Portrait d'Albert Einstein. En fond, manuscrit Einstein-Besso. © Christie’s.

11,6 millions d’euros pour le plus précieux manuscrit scientifique d’Albert Einstein

Un manuscrit exceptionnel de 54 pages co-écrit par Albert Einstein et le physicien suisse Michele Besso a été adjugé 11,6 millions d’euros à Paris. C’est ce manuscrit qui a établi les bases de la fameuse théorie de la relativité générale.

L’énigme newtonienne

Le manuscrit que l’on appelle « Einstein-Besso » est déjà un trésor scientifique en raison de son contenu. Ces feuillets représentent une étape cruciale dans le développement de la théorie générale de la relativité, l’une des plus fascinantes théories de la physique et, probablement, l’une des idées les plus importantes de la science moderne.

Écrit entre juin 1913 et le début de l’année 1914, ce manuscrit est une tentative qui a pour but d’expliquer les mystères de l’univers. Plus précisément, une énigme majeure qui remue la communauté scientifique depuis les années 1850 : l’anomalie de l’orbite de la planète Mercure.

Albert Einstein et Michele Besso. © Archives Albert Einstein, Université hébraïque de Jérusalem.

Pour au moins comprendre les enjeux scientifiques derrière ces travaux, il faut savoir que, selon les travaux de Newton, la trajectoire de la planète Mercure autour du soleil est une ellipse fixe et invariable. Toutefois, des observations ultérieures – notamment par l’astronome Urbain Le Verrier en 1859 – montre que son orbite n’est pas fixe mais tourne lentement.

Remplies d’erreurs, d’équations barrées et de calculs sans cesse corrigés et remaniés, les pages de ce manuscrit ont réellement contribué au développement de la théorie de la relativité. Le problème en question sera résolu plus tard par les deux scientifiques mais ce n’est pas exactement avec les calculs qui apparaissent sur ce manuscrit. Lorsque Einstein se rend compte des erreurs, il cesse de travailler sur ce manuscrit et le laisse entre les mains de Michele Besso.

Un manuscrit sauvé

Nous arrivons à la seconde raison qui donne au manuscrit son caractère exceptionnel : sa rareté. En effet, Einstein conservait rarement les brouillons de ses manuscrits et de sa correspondance. Quant à Besso, il a soigneusement conservé une partie de son travail avec Einstein pour la postérité. Grâce à lui, nous pouvons aujourd’hui affirmer que ce manuscrit est l’une des deux seules ébauches survivantes qui sous-tendent la théorie générale de la relativité. L’autre document connu de cette période cruciale, appelé le « carnet de Zurich » (fin 1912, début 1913) est conservé dans les archives Einstein de l’Université hébraïque de Jérusalem.

Sur les 54 pages de format in-4 qui composent ce manuscrit, 26 pages sont rédigées par Einstein, 25 par Besso et 3 sont écrites conjointement par les deux scientifiques. De plus, des notes marginales révèlent les commentaires de l’un sur le travail de l’autre.

Manuscrit Einstein-Besso. © Christie’s.

« Ce manuscrit est passionnant et émouvant, car on a très peu de brouillons d’Einstein, qui avait l’habitude de jeter tout ce qui ressemblait à des ébauches. Et puis, il est passionnant parce qu’il éclaire d’un jour assez neuf la façon dont s’est mise sur pieds une nouvelle théorie de la gravitation, La Théorie de la relativité générale, qu’Einstein a publiée en 1915 », explique Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences.

Einstein a ensuite retravaillé les calculs et publié la théorie de la relativité générale sous son nom en novembre 1915. Cette contribution a bouleversé la compréhension de la gravité, de l’espace et du temps, ouvrant l’exploration de la dilatation du temps gravitationnel, de la déviation de la lumière et des ondes gravitationnelles. C’est bien la découverte qui a contribué à faire d’Einstein une célébrité internationale.

Le lot phare d’une vente exceptionnelle

Ce n’est pas la première fois que ce manuscrit passe les portes de Christie’s mais la troisième. En novembre 1996, à New York, il avait été adjugé 398 500 dollars (sur une estimation de 250 000 – 350 000 dollars). Puis, le 4 octobre 2002, toujours à New York, il sera adjugé 559 500 dollars (estimation : 500 000 – 700 000 dollars) ; c’est lors de cette seconde vente que la propriété du manuscrit est passée du collectionneur Harvey B. Plotnick au fondateur d’Aristophil, Gérard Lhéritier. À cette époque, Aristophil avait estimé le manuscrit 12 millions d’euros afin de le vendre à près de 400 copropriétaires.

Pour ce troisième passage sous le marteau d’ivoire, la vente du manuscrit a été coordonnée par Christie’s pour le compte de la maison de vente Aguttes, toujours dans le cadre de la liquidation judiciaire d’Aristophil. Estimé entre 2 et 3 millions d’euros, il a été finalement adjugé, au cours d’une bataille d’enchères de 11 minutes, à 10,2 millions d’euros, soit 11,6 millions avec les frais.

Manuscrit Einstein-Besso. © Christie’s.

Il n’est pas rare que des écrits importants ou émouvants d’Einstein soient vendus pour des millions de dollars. Ainsi, en octobre 2017, deux conseils qu’Albert Einstein a écrit au Japon – l’un d’eux prônait « une vie calme et modeste » – ont rapporté plus de 1,5 million de dollars. Un an plus tard, la fameuse « lettre sur Dieu » est adjugée 2,8 millions de dollars et l’un des quatre seuls exemples connus de la célèbre équation E = mc² écrite par le physicien de sa propre main a été adjugé 1,2 millions de dollars en mai 2021.

Et, aussi étonnant que celui puisse paraître, il ne s’agit pas du seul document rédigé par Einstein vendu dans la journée. La maison de vente israélienne Kedem avait proposé ce mardi 23 novembre une rare lettre du scientifique adressée au pianiste Bruno Eisner. Dans cette lettre datée de 1936, adjugée à 71 000 dollars, Einstein s’exprime sur l’antisémitisme ambiant qui allait dégénérer dans les proportions que l’on connait.

On lit ainsi ces pensées émouvantes : « Il existe ici un énorme [degré] d’antisémitisme, en particulier dans le monde universitaire (mais aussi dans l’industrie et la banque). Remarquez, cet [antisémitisme] ne prend jamais la forme d’un discours ou d’une action brutale, mais plutôt, il se prépare, d’autant plus intensément, sous la surface. C’est, pour ainsi dire, un ennemi omniprésent, impossible à voir, [dont la présence] ne peut que se percevoir. »

Mise à jour (26/11) : Selon les dernières informations provenant de la presse hongkongaise, le nouveau propriétaire serait l’homme d’affaires hongkongais Li Ka-shing.

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J. M. Sultan
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