Portrait : Jacques-Emile Blanche, Étude pour le portrait de Max Jacob, 1921. Musée des Beaux-Arts de Rouen (inv. 925.1.17). Paysage : Max Jacob, L'église de Locmaria, 1927. Musée des Beaux-Arts de Quimper.

5 questions à Patricia Sustrac sur la correspondance de Max Jacob

Aimé, tourmenté, emprisonné. Le poète Max Jacob fait partie de ceux dont la riche correspondance dévoile parfaitement la personnalité de son auteur.

Nous le voyons quotidiennement sur Passéisme, les lettres autographes nous aident à comprendre des événements, assimiler des faits anecdotiques et, plus encore, pénétrer dans l’intimité d’une personnalité. Le poète et romancier Max Jacob fait justement partie de ceux qui fascinent et dont la correspondance nous aide à comprendre ce personnage aux multiples facettes.

Aujourd’hui, Patricia Sustrac1, présidente de l’Association les Amis de Max Jacob, nous en dit plus sur cette correspondance.

Passéisme : Depuis 2005, vous êtes présidente de l’Association les Amis de Max Jacob2 et avez publié des dizaines d’articles qui explorent les différents facettes du poète. Quel a été l’élément déclencheur de cette passion jacobienne ?

Patricia Sustrac : Ma belle-mère m’a fait découvrir la basilique romane de Saint-Benoît-sur-Loire auprès de laquelle a résidé Max Jacob. J’ai souhaité en savoir un peu plus et j’ai conjugué mon intérêt porté au genre de la correspondance à celui de la découverte de l’épistolaire de l’auteur. J’ai eu la chance de commencer par ce que je considère aujourd’hui comme la plus extraordinaire correspondance de Jacob, les lettres à Marcel Béalu3 (1937-1944). J’ai approfondi ma connaissance de l’œuvre pendant plusieurs années. Voisine du village ligérien, j’ai contacté l’Association des Amis de Max Jacob – très discrète à l’époque – et peu à peu je me suis chargée des hommages annuels sur la tombe du poète.

En 2005, il m’a été proposé de reprendre les rênes de l’association créée en 1949 et qui avait besoin d’un second souffle. Sur la base d’un projet culturel axé sur la recherche et la diffusion des savoirs ainsi que sur des actions de médiation (expositions, conférences…), entourée d’une solide équipe, l’Association rénovée a renforcé ses actions et réunit aujourd’hui 290 adhérents.

[Studio d’art Photomaton], Portrait de Max Jacob aux bagues, vers 1935. Bibliothèques d’Orléans (inv. D. 94. 2. 2).

Avec ses proches, Max Jacob a une écriture particulière, très simple et, comme vous le dites si bien, presque enfantine. Quelles conclusions biographiques pouvons-nous tirer de l’étude de sa correspondance ?

Il est toujours malaisé de « rabattre » l’œuvre sur la question biographique. Et cette démarche est encore plus justifiée chez Jacob qui aurait pu adopter la devise cartésienne : « larvatus prodeo »4. Il est en effet un auteur plutôt connu comme ayant toujours refusé toute fixité : « Une personnalité n’est qu’une erreur persistante » résume-t-il dans Art poétique (O., 1349).

Habité par un continuel non-amour de soi, Jacob n’a pas cessé de se livrer à un véritable jeu de massacre de son identité : « Nous sommes nés bancals » écrivait-il à son cousin Jean-Richard Bloch (14 mai 1915). « Masque Jacob/Max Jacob » est une formule qui est souvent associée à l’auteur.

La correspondance de Max Jacob est océanique – avec un collègue, nous avons dépouillé près de 6 400 lettres et dénombré près de 600 correspondants. La correspondance est mue par des motifs privés bien sûr mais aussi par ce qu’il appelait son « épistolat » donnant ainsi dans ce néologisme la mission d’amener à une conversion tout autant morale que religieuse. L’épistolier développe dans ses lettres un système philosophique, moral et esthétique « adapté » à ses correspondants. Toutefois, ce qui me semble être saillant dans ce vaste mouvement d’approche et de lien à autrui c’est que Jacob devait bien posséder des qualités humaines et en particulier la générosité et le sens de l’amitié dont il disait « qu’elle était le clou où il avait suspendu sa vie » ! Il y a des élans, une flamme, un jaillissement affectif qui peut surprendre – des lettres brûlantes – et qui ont sans aucun doute surpris à l’époque mais ce n’est pas le moindre des atouts de cet épistolaire encore aujourd’hui !

Max Jacob séduit beaucoup, c’est un homme attachant, très profond, il peut accompagner des chemins de vie. 

Amedeo Modigliani, Max Jacob, André Salmon et Manuel Ortiz de Zárate à Montparnasse, par Jean Cocteau, 12 août 1916. Musée des Beaux-Arts de Quimper.

La provenance d’une lettre peut souvent nous apprendre des détails étonnants sur un auteur. Quelle est généralement la provenance des nombreuses lettres inédites5 que vous mentionnez dans vos publications ? S’agit-il de collections privées ?

Des lettres inédites sont encore conservées en collections publiques, les Bibliothèques, les Musées, les Archives possèdent souvent des manuscrits conséquents et même des feuillets isolés très intéressants. Étudier les fonds est une des pratiques liées au métier de chercheur. Il y a bien sûr des fonds spécialisés : la BnF, la Bibliothèque Doucet, Quimper – ville natale du poète -, Orléans mais il y a beaucoup d’autres bibliothèques en France comme à l’étranger qui recèlent des trésors. La Bibliothèque de l’Institut conserve par exemple la très jolie correspondance de Max Jacob à Jacques-Émile Blanche, c’est un peintre délicieux, leur amitié a été solide et leurs propos sont savoureux sur l’époque, sur leur pratique artistique… elle est encore inédite !

La visibilité de l’association sur le net depuis ces dix dernières années a aussi permis à de nombreux collectionneurs de nous contacter et de nous confier leur collection pour inventaire, certaines ont d’ailleurs été versées en collection publique, d’autres ont été vendues mais à chaque fois nous en avons pris connaissance. Il s’agit souvent d’héritiers qui ne connaissent pas toujours ce qu’ils possèdent et/ou pourquoi ils détiennent ces manuscrits, je les accompagne dans le classement, l’inventaire, la conservation et la protection de leurs archives. Ce sont des liens intenses car c’est tout un pan de l’histoire de leur aïeul qu’ils découvrent !

Enfin, des libraires, des commissaires-priseurs nous permettent souvent de partager leur richesse en contrepartie de quoi je rédige souvent des notices. Les professionnels du livre sont très généreux et des ressources pour les chercheurs : je pense aux bibliothécaires, aux documentalistes dans les institutions qui font un travail remarquable et qui sont très dévoués, un chercheur ne travaille pas seul – c’est impossible. Un chercheur aidé fait aussi progresser la connaissance sur les fonds eux-mêmes c’est un travail d’intelligence réciproque.

Max Jacob, lettre inédite à Maurice Sachs, sd [1926]. Médiathèque d’Orléans, ms 2249.

Nous ne pouvons qu’être impressionnés par l’étendue de la bibliographie de la correspondance de Max Jacob6 que vous avez établie avec Antonio Rodriguez, pensez-vous qu’il reste encore de nombreuses lettres inédites qui attendent d’être découvertes ?

Oui, certains ensembles sont repérés parce qu’ils sont passés en vente, les transactions sont fréquentes et nous pouvons ainsi saisir la chance de les consulter ou attendre qu’ils reviennent à la vente. Oui, parce que nous savons par le dépouillement synoptique de la correspondance qu’il existe des correspondants « indirects » (Max Jacob atteste auprès de X qu’il est en correspondance avec Y dont l’épistolaire n’est pas encore repéré).

Il me semble cependant que « les grands ensembles » sont connus, parus ou à paraître – par « grands ensembles » je pense à des échanges volumineux supérieurs à 200 lettres comme la correspondance avec Cocteau, Paulhan, Sachs, Paul Petit, René Guy Cadou… Mais un « miracle » peut toujours advenir ! Le « voyage » des manuscrits est quelque fois très longs. Et puis il y a des épistolaires réputés perdus dont les destinataires ont confié qu’ils étaient volumineux – 250 lettres déclare Joseph Pérard, correspondant bibliophile de Jacob, – . À son décès, sa superbe collection bibliophilique a été acquise par la Médiathèque de Lyon, on cherche encore la correspondance… un jour peut-être !

Je pense aussi à la récente donation des lettres reçues par Max Jacob qui a été versée par la famille Floch-Prieur à la Bibliothèque Doucet en novembre dernier : un ensemble exceptionnel de 180 lettres reçues par le poète entre 1909 et 1937. Cet ensemble a confirmé ce que j’appelais tout à l’heure les correspondants « indirects » et fait espérer de trouver d’autres épistolaires. Il y a aussi les fonds à l’étranger : ceux de la Bibliothèque royale de Belgique sont connus mais pas encore entièrement exploités ; les fonds américains sont encore à explorer. La communauté internationale des chercheurs est active, les inventaires de plus en plus accessibles – je crois qu’il y aura encore de belles découvertes à faire.

Moïse Kisling, Manuel Ortiz de Zárate, Max Jacob, Picasso et l’actrice Pâquerette, par Jean Cocteau, 12 août 1916. Musée des Beaux-Arts de Quimper.

Pouvez-vous nous citer une phrase de Max Jacob provenant de sa correspondance et qui définirait parfaitement notre poète ?

Il y a beaucoup d’expressions qui retiennent l’attention du lecteur mais aujourd’hui, face à cette pandémie, qui nous contraint à l’examen de soi, je pense à ce que Jacob écrivait à Louis Guillaume pendant l’Occupation : « Le mal ne tue pas quand on se bat avec lui. Je crois même le contraire. La victoire finit au bien. Il est même arrivé que le fait de démasquer le mal l’ait tué. Surtout ! surtout ne pas s’y soumettre, ça c’est de la lâcheté, l’affaissement moral. »

Max Jacob a toujours été très digne même lorsque sa vie a « fini dans le noir »7, il a logé son esprit dans sa foi et son espérance – c’est en cela qu’il est toujours touchant.

Notes
  • Patricia Sustrac est présidente de l'Association les Amis de Max Jacob et directeur de publication des Cahiers Max Jacob depuis 2006. Elle est également l'auteur de nombreux articles biographiques et critiques consacrés à Max Jacob ainsi que l'éditeur scientifique de deux correspondances : Lettres de Max Jacob à Roger Toulouse en collaboration avec Christine Andreucci (Les Cahiers Bleus, 1992) et Lettres à un jeune homme - 1938-1944 (Bartillat, 2009).
  • Fondée en 1949, l'Association les Amis de Max Jacob a pour objet d'entretenir et de promouvoir le souvenir et l'amitié posthume de Max Jacob, de diffuser son œuvre et d'organiser des événements liés au poète. Elle édite Les Cahiers Max Jacob.
  • Marcel Béalu (1908-1993) est un écrivain et poète français, proche de Max Jacob qu'il rencontre dans sa retraite de Saint-Benoît-sur-Loire en 1937.
  • « Larvatus prodeos », en français « Je m'avance masqué », était la devise de René Descartes (1596-1650).
  • cf. Patricia Sustrac, « je t'embrasse, sensible et donc fidèle... » Lettres inédites de Max Jacob à Louis Salou (1928-1937), Les Cahiers Max Jacob, 2019 ; Patricia Sustrac, Stéphane Boudin-Lestienne, Alexandre Mare, « Être des vôtres est une bénédiction véritable... » Lettres inédites de Max Jacob au vicomte et à la vicomtesse de Noailles (1929-1934), op. cit. ; Pierre Masson, Patricia Sustrac, « L'époque d'André Gide est une grande époque littéraire... » Lettre inédites à André Gide (1923-1937), Les Cahiers Max Jacob, 2017.
  • cf. Antonio Rodriguez, Patricia Sustrac, « Bibliographie de la correspondance de Max Jacob », Les Cahiers Max Jacob, 13/14.
  • cf. Patricia Sustrac, « Étapes des persécutions contre Max Jacob et sa famille », Les Cahiers Max Jacob, 2009.
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J. M. Sultan
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