Maurice, René et Pierre Charoy, portefeuille (31 juillet 1914 - 20 juillet 1917) contenant les lettres adressées à leur mère et leurs dernières volontés, trouvé près du corps de Pierre Charoy, Musée de l'Armée. Photo © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais/Émilie Cambier

À la BnF, les manuscrits de l’extrême sortent de l’ombre

Ce mardi, la Bibliothèque nationale de France lève le voile sur des textes écrits dans l’urgence, parfois miraculeusement rescapés, qui témoignent des moments extrêmes de la vie.

Qu’ils soient écrits avec du jus de citron ou du sang, ces manuscrits révèlent l’urgence et la situation extrême dans laquelle se trouve leur auteur.

Des écrits bouleversants

En 1639, le missionnaire Joseph-Antoine Poncet de la Rivière est envoyé en mission chez les Hurons. Faute de papier, il rédigera sa missive sur une écorce de bouleau. 155 ans plus tard, le poète André Chénier est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire. La veille de son exécution, il glisse ses derniers vers dans du linge pour qu’ils soient transmis à son père.

Jean Henri Masers de Latude, lettre écrite sur du linge avec son sang. © Bibliothèque nationale de France (Arsenal, manuscrit 11693).
Jean Henri Masers de Latude, lettre écrite sur du linge avec son sang. © Bibliothèque nationale de France (Arsenal, manuscrit 11693).

Non loin de là, le marquis de Sade utilisait un autre moyen de ruse pour contourner les geôliers : il dissimulait son texte en écrivant au jus de citron ou en le recouvrant d’encre. Autre témoignage de prisonnier, le journal d’Alfred Dreyfus sur l’île du Diable qui débute par une phrase poignante :

Je commence aujourd’hui le journal de ma triste et épouvantable vie…
Alfred Dreyfus, Journal, Île du Diable (Guyane), 1895-1896

 

Prison, Passion, Péril, Possession

L’exposition s’articule autour de quatre thèmes – prison, passion, péril et possession – qui évoquent les situations difficiles auxquelles un être humain puisse être confronté. Écritures microscopiques, feuillets minuscules, papiers et encres de fortune sont autant de particularités par lesquelles ces manuscrits font corps avec les événements vécus. La détresse, la folie, la passion s’y révèlent, non seulement dans le contenu textuel mais aussi dans la forme même de l’inscription.

Ainsi, l’exposition présente aussi bien des manuscrits de personnalités politiques et littéraires célèbres, parmi lesquels Blaise Pascal, le marquis de Sade, Marie-Antoinette, Auguste Blanqui, Stéphane Mallarmé, Marie Curie, Antonin Artaud mais également ceux d’inconnus ayant traversé des épreuves similaires.

Antonin Artaud, cahier, avec "autoportrait au couteau", mars 1947. © Bibliothèque nationale de France (Manuscrits, fonds A. Artaud, cahier 253, f. 18vo-19).
Antonin Artaud, cahier, avec « autoportrait au couteau », mars 1947. © Bibliothèque nationale de France (Manuscrits, fonds A. Artaud, cahier 253, f. 18vo-19).

Parmi ces inconnus figure une inscription apposée par un résistant, non pas sur du papier ni même du tissu, mais au-dessous d’une chaise en bois retrouvée au siège de la Gestapo à Paris : « En toute amitié à mes camarades féminins et masculins qui m’ont précédé et me suivront dans cette cellule. Qu’ils conservent leur foi. Que Dieu évite ce calvaire à ma bien aimée fiancée. »

Ces textes ont survécu à leur auteur, bien souvent dans des conditions de conservation difficiles, et traversé le temps pour faire résonner jusqu’à nous les voix de ces destins hors-norme. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de leur rendre hommage et d’apprécier jusqu’au 7 juillet 2019 ces témoignages inestimables à la Bibliothèque nationale de France.


J. M. Sultan
J. M. Sultan
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