Photographie de Séraphine Louis par Mademoiselle Anne-Marie Uhde, années 1920-1930.

À la découverte de Séraphine Louis avec Pierre Guénégan et Maryline Clin

À l’occasion de la publication du Catalogue raisonné de l’œuvre peint de Séraphine Louis, les lettres de l’artiste internée durant dix années à l’asile de Clermont de l’Oise sont enfin publiées.

À notre tour, nous avons souhaité participer à ce bel hommage et poser quelques questions à Pierre Guénégan1 et Maryline Clin2 qui nous en disent plus sur ce beau projet.

Pour commencer, pourriez-vous nous donner des détails sur la genèse de cet important projet éditorial ?

Pierre Guénégan : Les recherches ont commencé il y a maintenant de nombreuses années ; j’ai eu la chance de travailler avec de grands marchands et cela m’a donné l’opportunité de découvrir des peintres autodidactes très différents les uns des autres : Séraphine, Vivin, Desnos, Bauchant, Bombois, par exemple et d’en rencontrer certains plus intimement, René Rimbert, Jules Lefranc, ou Serge Charchoune, par exemple.

Pour le catalogue raisonné de Séraphine, le travail a été long mais également très enrichissant avec, au fur et à mesure, des rencontres intéressantes et positives. L’approche par exemple de la lecture des lettres de Séraphine n’a pu être possible que grâce à Maryline Clin, en charge du Musée Henri Theillou à Clermont de l’Oise. L’analyse psychopathologique de Séraphine a permis, du fait d’autres rencontres, de lever une partie du voile et de mieux comprendre la démarche de l’artiste.

J’ai également eu des entretiens fondamentaux, il y a des années maintenant, avec Anne-Marie Uhde, Jean Pierre Foucher, Henry Certigny, Jean-Paul Crespelle, Dina Vierny ; cela m’a permis de confirmer l’authentification petit à petit de certaines œuvres ; de la même manière Anne-Marie Uhde m’a confirmé ou infirmé certaines anecdotes concernant Séraphine, elle m’a également précisé certaines dates etc…

Aussi, pouvez-vous nous en dire plus sur le travail de retranscription qui a été effectué et sur les découvertes réalisées suite à l’étude de cette correspondance ?

Pierre Guénégan : Concernant la transcription des lettres, Maryline Clin et Françoise Cloarec (auteure d’une biographie consacrée à Séraphine3) ont réalisé toutes les deux un travail exceptionnel ; sans ce travail approfondi, rien n’aurait été possible.

Maryline Clin : La mise en œuvre du projet de transcription des lettres de Séraphine s’est faite tout naturellement dans la continuité du tournage du film de Martin Provost (2008) et de la sortie du livre de Françoise Cloarec. Pour ce travail de transcription, nous avons voulu rester au plus près de chaque ligne, chaque phase, chaque mot écrits par elle. Ces lettres mises en annexes du dossier médical offraient de prime abord l’apparence de petites œuvres artistiques rappelant ses toiles par le côté surabondant des mots, des signes, des paragraphes. Tous posés sur la page en tous sens comme ses fleurs et ses fruits l’étaient sur la toile.

En quoi Séraphine est-elle si importante pour le Musée Theillou et l’Association Culturelle des Amis du C.H.I de Clermont (ACACHIC) ?

Maryline Clin : Séraphine Louis, dite de Senlis, compte parmi les personnes célèbres internées à l’Asile de Clermont et, bien sûr, il revenait au Musée Theillou de faire perdurer sa mémoire, de participer aux travaux de recherche la concernant tant dans le domaine de l’écriture que dans celui du cinéma ou du théâtre. Depuis son ouverture en 2003, le Musée a pu accueillir écrivains, réalisateurs et gens de théâtre qui ont tous contribué en une dizaine d’années à sortir Séraphine de l’ombre à laquelle elle n’était surtout pas destinée. Preuve en est.

Séraphine Louis, Fleurs et fruits, vers 1920. Collection Dina Vierny. © Jean-Pierre Dalbéra.

Lorsque l’on mentionne le nom de Séraphine Louis, dite de Senlis, l’on pense habituellement à de beaux tableaux lumineux, fleuris et débordants de couleurs. Son art était-il le reflet de son état psychique ?

Pierre Guénégan : L’approche psychanalytique et psychiatrique de Séraphine Louis a été réalisée par Marie-Amérie Ortas Peretti dans sa thèse de médecine consacrée à l’artiste en 1965 et par Patrick Martin-Mattera dans un texte : Séraphine Louis Maillard sans rivâle (sic) qu’il a écrit spécialement à l’occasion de la rédaction de ce catalogue.

Qu’il s’agisse de peinture ou de correspondance, Séraphine Louis signait différemment ?

Pierre Guénégan : En effet, et cette différence est analysée par Marie-Amérie Ortas Peretti et Patrick Martin-Mattera dans le catalogue raisonné.

Maryline Clin : La signature change également dans les lettres. Au début, les lettres sont signées « Séraphine Louis Maillard ». À partir de 1937, on trouve aussi des lettres signées « Séraphine Louis Maillard sans-rivâle ». Ces signatures témoignent peut-être d’un besoin de se montrer, de s’affirmer dans un milieu où toutes les internées étaient traitées de la même façon. Ultime urgence de reconnaissance ? Lui fallait-il transcender son état d’artiste empêchée ?

Photographie de Séraphine Louis par Mademoiselle Anne-Marie Uhde, années 1920-1930.

Enfin, nous terminerons sur la question que nous réservons à tous nos invités : pouvez-vous partager avec nos lecteurs une lettre de Séraphine Louis qui vous touche ?

Pierre Guénégan : Il est difficile de retenir une lettre plutôt qu’une autre ; chaque lettre est un cri de désespoir, une supplique vers le monde des vivants. La lettre du 3 septembre 1937 dans laquelle, tel un chef d’orchestre, elle organise sa mort et y exprime ses dernières volontés est poétique et attendrissante. Elle nous donne envie de répondre à ce cri de désespoir.

Maryline Clin : Une lettre d’avril 1938 : « Un petit terrain au pied De ma tombe pour que les personnes pieuses qui m’aime plântes quelques fleurs et même boûquet plûtot Des petite plante de toutes saison qui ne soient pas fragile. »

En savoir plus…

Séraphine – Catalogue raisonné de l’œuvre peint
Cet ouvrage comprend de nombreuses analyses de divers auteurs très différents les uns des autres, historiens de l’art, mais également psychiatres et psychanalystes. Certains, telles Maryline Clin ou Marie-Amélie Ortas-Peretti ont consacré une partie importante de leur vie à étudier la peinture et les motivations profondes de Séraphine. Il a été recensé un peu plus d’une centaine d’œuvres sur les quatre-cents peintes. D’autres, non répertoriées, demeurent encore dans les greniers et nous espérons que ce livre participera à la découverte de nouveaux chefs-d’œuvre.

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Notes
  • Pierre Guénégan, tour à tour directeur de plusieurs galeries d’art, collectionneur, expert près la Cour d’Appel de Paris durant trente-cinq ans, consultant près les Douanes françaises, travaille depuis de nombreuses années sur les peintres autodidactes et solitaires. Après plusieurs catalogues raisonnés dont un sur René Rimbert, figure emblématique et respectée de ces artistes souvent en marge du marché de l’art, c’est le catalogue raisonné de Séraphine Louis qu’il nous présente aujourd’hui. Les lettres de l’artiste internée durant dix années à l’asile de Clermont de l’Oise sont publiées pour la première fois dans ce livre conçu avant tout comme un hommage à cette grande artiste.
  • Maryline Clin est responsable du Musée Henri Theillou. Le Musée Henri Theillou est géré par l’association Culturelle des Amis du C.H.I de Clermont (ACACHIC). Ouvert en 2003, le Musée Henri Theillou offre une mise en relief des différentes représentations de la folie depuis la Révolution. L'évolution de la psychiatrie et des traitements pour malades mentaux au XXème siècle est présentée à travers d’images, photographies, films, objets de vie ou de soin du quotidien… et témoignages d'anciens membres du personnel soignant.  Le Musée présente d’une façon didactique l’histoire de l’hôpital psychiatrique en présentant de nombreux témoignages matériels, photographiques et iconographiques.
  • Françoise Cloarec, Séraphine: La vie rêvée de Séraphine de Senlis, Phébus, 2008.

J. M. Sultan
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