Christophe Rousset et le manuscrit de Madame Théobon sur un clavecin Nicolas Dumont de 1704. Photographie © Eric Larrayadieu.

Découverte du manuscrit musical de Madame Théobon avec Christophe Rousset

La découverte inattendue d’un manuscrit musical appartenant à Lydie de Théobon, maîtresse de Louis XIV jusqu’en 1672, a permis au claveciniste Christophe Rousset d’enregistrer un album de pièces de clavecin du XVIIe siècle. Au programme, le grand Jean-Baptiste Lully mais aussi Ennemond Gaultier, Jacques Champion de Chambonnières, Jean-Henri d’Anglebert ou encore Nicolas Lebègue.

En 2004, Christophe Rousset – fondateur de l’ensemble Les Talens Lyriques qui a récemment fêté ses 30 ans – découvre un manuscrit musical qu’il identifie vite comme un album appartenant à Lydie de Théobon, demoiselle d’honneur de la reine Marie-Thérèse d’Autriche et de la princesse Palatine qui eut, entre temps, le roi pour amant. Sur les quatre-vingts pièces de l’album, son expertise lui permet d’en attribuer trente-quatre à Jean-Baptiste Lully. On y découvre également des pièces inédites qui sont un témoignage précieux des goûts musicaux de l’époque.

Le Manuscrit de Madame Théobon interprété par Christophe Rousset. Label Aparté, 2022.

Cette année, le musicien nous présente Le Manuscrit de Madame Théobon en interprétant, pour notre plus grand plaisir, l’ensemble de ces compositions (certains inédits sont enregistrés pour la première fois) sur son propre clavecin Nicolas Dumont de 1704, récemment restauré par le facteur de clavecin David Ley. À cette occasion, nous avons posé 4 questions à Christophe Rousset sur son manuscrit et les compositions qu’il renferme.

Passéisme : Pourriez-vous nous raconter l’origine de votre fascinante découverte ?

Christophe Rousset : Je ne pourrais dire que je passe mon temps à chercher, et encore moins sur le web. C’est un des musiciens de mon ensemble Les Talens Lyriques qui, lui-même collectionneur, m’a indiqué ce volume. Il était en vente sur eBay, en tant qu’édition du XVIIIe siècle de pièces de clavecin. Il n’a fallu qu’un coup d’œil sur les photos de l’annonce pour déceler qu’il s’agissait d’un manuscrit et non d’une édition et qu’il était du XVIIe et non du XVIIIe siècle.

Plusieurs indices, les pièces rassemblées dans ce recueil qui sont parmi les « tubes » de l’époque dont on trouve de nombreuses versions manuscrites et qui disparaissent totalement dans les manuscrits d’après 1700. Et surtout l’usage de la clef de fa 3e pour la main gauche, qui sera très vite abandonné au début du XVIIIe. Comme le recueil contient quelques extraits d’Acis et Galatée (1686) de Lully, on peut dater ce manuscrit de la dernière décennie du XVIIe.

Table des airs sur l’album de Lydie de Thébon. Photographie © Eric Larrayadieu.

Parmi les quelques photos de l’annonce eBay, il y avait celle du premier prélude non mesuré du volume. Tout de suite, il m’est apparu que c’était un inédit. Il y apparaissait aussi une table des matières (qui, une fois le recueil en main, s’est avérée incomplète) : un grand nombre de transcriptions de Lully mais aussi des auteurs spécifiquement pour le clavecin comme Chambonnières, d’Anglebert, Louis Couperin… il fallait donc tout faire pour ne pas le laisser m’échapper. Il m’a aussi fallu de l’aide pour l’arracher aux nombreux enchérisseurs mais voilà, j’ai réussi ! Et, lorsque je suis allé le retirer chez le vendeur, ma surprise a été grande de constater qu’il s’agissait d’un libraire de la rue Linné à Paris.

Passéisme : Vos recherches ont aussi révélé que ce manuscrit appartenait à Lydie de Théobon. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui a permis de l’identifier ?

Il ne m’a pas fallu beaucoup d’investigation pour l’établir puisqu’il en portait la mention Mme de THÉOBONE – Le E final, clairement ajouté tardivement par une autre main. La copie est très claire, très « professionnelle » et elle est reliée en plein veau, avec de jolis poinçons dorés, en format italien, selon les habitudes de l’époque. En trois clics, j’ai appris que vers 1690, Madame de Théobon était en disgrâce car elle avait été suivante de Madame de Montespan et avait fauté avec Louis XIV.

Passéisme : On imagine le plaisir que peut ressentir un claveciniste parcourant un tel manuscrit, comment avez-vous décidé d’organiser votre album ? Y avait-il des priorités ou des pièces écartées ?

J’ai joué sur l’enregistrement toutes les pièces du recueil, sauf celles qui étaient… en double ! C’est le cas de deux d’entre elles. Et j’ai choisi sur ces deux doublons la version la plus intéressante. Pour le reste, il m’a en effet fallu trouver un ordre adéquat pour l’enregistrement car, comme souvent dans les manuscrits XVIIe (je pense au fameux Manuscrit Bauÿn1), les préludes se font suite, puis les pièces classées plus ou moins par tonalité mais sans logique claire, parfois des pièces à variations avec des couplets disséminés dans le volume en fonction des pentagrammes laissés libres.

Paul Mignard – Portrait de Jean-Baptiste Lully, entre 1650 et 1700. Musée Condé (PE 647).

Passéisme : En parcourant le livret, on découvre de nombreuses compositions du célèbre surintendant de la musique du roi Louis XIV, Jean-Baptiste Lully. Avez-vous pu identifier d’autres compositeurs ou découvrir des inédits ?

En effet, beaucoup de Lully ; des transcriptions qui sonnent d’ailleurs très bien au clavecin, des standards de l’époque (Courante Iris ou sarabande Ô beau jardin de Chambonnières, Folies d’Espagne de d’Anglebert, Gavotte de Hardel variée par Louis Couperin, gavotte de Lebègue…) mais aussi quelques pièces inédites : les 6 (!) préludes non mesurés et anonymes – j’ai suggéré quelques attributions -, une pièce très divertissante Branle des gueux, sur un bourdon très entraînant, et un certain nombre de chansons adaptées au clavier.

Quelques extraits à découvrir

Notes
  • Le manuscrit Bauÿn est l'une des sources principales concernant la musique de clavecin en France au XVIIe siècle. Le manuscrit, qui doit à son nom aux armes d'André Bauyn, chevalier et seigneur de Bersan, que l'on retrouve sur la reliure, est conservé à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes Rés. Vm7 674 et 675.

J. M. Sultan
J. M. Sultan
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