Du plumeau au pinceau à la plume — Focus sur une émouvante lettre de Séraphine Louis
Séraphine Louis est née à Arsy dans l’Oise en 1864. Femme de ménage chez des bourgeois de Senlis, elle peint à la nuit tombée, sans avoir jamais appris, sur tout ce qu’elle trouve : petits pots de crème, morceaux de carton ou de bois qu’elle ramasse…
Entre gloire et misère
En 1912 Wilhelm Uhde, marchand d’art allemand, découvre sa peinture par hasard à Senlis. Après l’avoir fait connaître au monde de l’art comme Séraphine de Senlis et après de nombreux épisodes alternant gloire et misère il l’abandonne en 1930. Séraphine Louis sombre dans la folie et est internée en 1932 à l’asile de Clermont de l’Oise, non loin de Senlis. Elle cesse alors de peindre et affirme : On ne fait pas de l’art dans ces endroits-là. Elle y restera jusqu’à sa mort en 1942.
Le cinéaste Martin Provost ému et séduit par le parcours de cette artiste autodidacte en fait un film en 2008, avec la comédienne Yolande Moreau dans le rôle de Séraphine. Le film fait un triomphe et obtient 7 César. En même temps une rétrospective de l’œuvre peint de Séraphine est organisée au Musée Maillol à Paris. Séraphine est connue désormais par un large public, aussi bien en France qu’à l’étranger.
Le quotidien de Séraphine Louis après son internement nous est connu grâce au dossier médical, rendu public en 1965 par Marie-Amélie Ortas-Peretti dans sa thèse de médecine consacrée à l’artiste. À ce dossier s’ajoutent également les lettres manuscrites de l’artiste, qu’elle écrit pendant son internement.
De nombreuses personnes semblent se préoccuper du cas Séraphine et de l’éventuelle poursuite de son activité artistique. Pour certains elle a continué à peindre, mais plus modestement ; d’autres pensent qu’elle a cessé à l’instant même où elle est internée. Ce qui est certain, c’est que, pendant son internement, Séraphine prend la plume et commence à écrire.
Séraphine Louis, sans rivale
Tout comme dans ses peintures, Séraphine ne suit aucune règle. Elle tourne et retourne la feuille de la même manière qu’auparavant elle manipulait sa toile. Séraphine dynamise sa feuille non par le biais d’une iconographie florale – comme dans sa peinture – mais par les boucles, courbes et déliés de ses lettres graphiques, avec une ponctuation toute personnelle. De la même manière, l’occupation de l’espace sur la page traduit une peur du vide que l’on peut percevoir dans ses œuvres.
Ces lettres sont le témoignage d’une vie avec ses angoisses et ses souvenirs. On y retrouve à la fois des allusions à sa propre peinture, mais aussi des préoccupations financières relatives au coût du matériel de peinture. Ces lettres rappellent autant le parcours exceptionnel de Séraphine que les incertitudes dont celles amenées par la guerre. De ces lettres, on peut sans doute retenir essentiellement sa vie, rythmée par des changements de statuts ; du plumeau de la femme de ménage au pinceau de l’artiste jusqu’à la plume de la patiente.
Dans sa lettre datée du 29 juillet 1939, Séraphine parle de Dieu, invite à la prière, évoque également des souvenirs de vacances mais aussi de cuisine. Alors qu’elle signait ses toiles avec un S. Louis, elle signe ses lettres de son prénom, Séraphine, de son nom Louis, de celui de sa mère Maillard, suivis de la mention sans rivale, se plaçant au-dessus de toute considération, écrivant même Je veux reprendre ma profession d’art.
Focus
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Lettre de Séraphine Louis, 29 juillet 1939
4 pages, en français
Transcription : Maryline Clin – Françoise Cloarec29-7.-39 Personnel
Monsieur de Gorenflot à Rémy Prôpriétaire
Cher Monsieur de Gorenflot. Je viens de la part de Dieu notre seigneur
Pour vous prêvenir que pour sous saûvéil faut un retour vers lui à sa Grâce vous repentir et et le sâcrement de la Pénitence qui est la confession actuellement on ne fait plus ces Pâques Dieu ne l’oblige plus.
Il se contente seulement que l’on en aient le Désir il vous redemande que tous les dimanches que vous alliez à la sainte messe.
PrieZ de temps à autres surtout le matin et soir et dans les tentations et les peines
Et assistés à la sainte Messe
Pour votre Epoûse décédée qui est actuellement dans les Enfers La délivrée par des prières en état de grâce ??….
ÉcouteZ moi bien vous n’avez plus long temps à vivre. Dieu me l’a dit. Si vous ne faite pas prômtement ce que je vous recommande, vous irez la rejoindre n’attendez plus. La mort vient comme un vôleur.
Au moment que vous que vous y songerez le moins ou par accident ou sûbitement oû par maladie pendant ou après, ou même dans la convalessence comme un vôleur vous surprendre. Ce passage de l’incertitûde est terrible
Sà me caûseraie une peine secrête de vous voir en enfers vous qui avez été si pieûx dans votre jeûnesse
Vous m’avez sanctifiée J’aie marchés sur vos trâces
En travers : Sôyez fidèle à la grâce de Dieu que je soient en paix
Notre Père et l’acte de contrition et venez esprit saint
Les glorias patris et filio et spiritus y sanctus amenNous avons l’un et l’aûtres Des Parents qui soûffres en lieûx D’éspiation. Mais – ici j’aie Toutes prîvations……….
Même de la Priére parceque Il y à trop de Tûmulte et que l’âme est prîvée De recevoire Les Lûmiéres Du saint-Esprit.
Que le saint-Esprit, Dans le Tûmulte ne fonctionne pas dans ces Opêrations.
Il faut le receûillements. Dans la priéres
Quand Nous étions labâs. En vacânces Dans le loiret. Le dimanche avec les enfants du Perraults Le château nous allions ensembles à la messe à Châtillon-sur loing Loiret.
Probalble que le directeur de notre consiance était un Digne Mr de Gorenflot
Tel Pére tel fils.
Dit moi qui tu ânte je te Dirai qui tu est
Le soir au Château Des Perreaults Nous étions a la veillée. On passaits âgréablement les petites soirés aux jeûx de Dominos et encore au jeu De L’oie.
En attendant que ces dames Les Comtesses de Baumini et de Brûe soient Prête a montées à leurs chambres.
Pour leurs aidées ces dames a se désâbillées. J’attendaie moi et rose Mme Votre mérequi fûe un distingûée cordon bleûe jamais je n’aie mangée de Meilleure Cuisine que la sienne.
Pour ne pas ôsée Dire mieux une Cuisine sucûlante fine et soignée, je l’aimaie comme une Mére , je croie que c’étaie réciprôque . Et Mr votre Pére c’étaie un Excellent jardinier. Il savait parfaitement la cultures des gourmets légûmes D’espâgne pommes de terre sucrée que l’on fesait mijottée
Suite en travers : au beurre jaune comme De L’or tendre inimaginablement, et encore on les poûdraies De sûcre e poudre ces bons pattés de gibier de Lièvre et toutes chôses de Patisseries Jibiers a la brôche poûles, et Divers entremets il avaie comptée sur son fils mais mais maintenant je ne veut plus m’unire je veux reprenDre mà profession D’art. ( Séraphine . Louis-Maillard ) (sans –rivâle.)
En travers, autre : mercies infiniment pour vos fruits les fraises et vos bons légûmes je vous serre la main.
Séraphine – Catalogue raisonné de l’œuvre peint
Cet ouvrage comprend de nombreuses analyses de divers auteurs très différents les uns des autres, historiens de l’art, mais également psychiatres et psychanalystes. Certains, telles Maryline Clin ou Marie-Amélie Ortas-Peretti ont consacré une partie importante de leur vie à étudier la peinture et les motivations profondes de Séraphine. Il a été recensé un peu plus d’une centaine d’œuvres sur les quatre-cents peintes. D’autres, non répertoriées, demeurent encore dans les greniers et nous espérons que ce livre participera à la découverte de nouveaux chefs-d’œuvre.
