Charles Alexander Smith, L'Assemblée des six comtés à Saint-Charles-sur-Richelieu, en 1837, 1891, Musée national des beaux-arts du Québec.

Focus sur l’une des dernières lettres de Chevalier de Lorimier

Cet article inaugure notre série « Focus ». Son objectif est de mettre en avant des personnages et des événements historiques inédits, fascinants et, le plus souvent, inconnus du grand public à travers l’analyse de lettres autographes, dessins et manuscrits.

À l’occasion des 180 ans de l’exécution des patriotes à la prison du Pied-du-Courant, nous avons choisi de débuter notre série Focus avec une émouvante lettre écrite par l’un des grands acteurs de la rébellion des Patriotes : François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier.

Le contexte

Nous sommes en 1837 et les canadiens francophones, rassemblés au sein du Parti patriote, ne supportent plus l’arrogance et l’immixtion des loyalistes (les défenseurs du pouvoir colonial britannique) dans leurs affaires. Ils souhaitent s’administrer eux-mêmes, obtenir le droit de contrôler le budget et, surtout, pouvoir accéder à des postes exécutifs.

Comment en est-on arrivé là ? Suite au traité de Paris de 1763, la France a abandonné le Canada à la Grande-Bretagne. Le Québec devient donc britannique et toutes les décisions concernant la colonie sont prises par des dirigeants élus par la Grande-Bretagne.

Pourtant, les francophones sont quatre fois plus nombreux que les anglophones et, après plus de 70 ans de contrôle britannique, les patriotes, sous la direction de l’homme politique et avocat Louis-Joseph Papineau, sentent le moment d’agir.

Portrait de Louis-Joseph Papineau par Théophile Hamel. Il est à la tête du Parti canadien (devenu le Parti patriote en 1826) qui lutte pour des réformes constitutionnelles fondées sur les principes britanniques.
Portrait de Louis-Joseph Papineau par Théophile Hamel. Il est à la tête du Parti canadien (devenu le Parti patriote en 1826) qui lutte pour des réformes constitutionnelles fondées sur les principes britanniques.

Alors que la Grande-Bretagne refuse ou ignore les demandes des patriotes, ces derniers organisent des assemblées publiques durant l’été de 1837. Ces rassemblements, interdits par le gouvernement britannique, provoquent des affrontements entre les groupes paramilitaires des deux camps : le Doric Club – une association loyaliste organisée par le journaliste Adam Thom – et la Société des Fils de la Liberté – une organisation fondée par les partisans du Parti patriote, inspirée par les Sons of Liberty de la révolution américaine.

Chevalier de Lorimier

Parmi les fondateurs du Parti patriote, on retrouve le nom de Chevalier de Lorimier. Né le 27 décembre 1803 dans une famille d’agriculteurs descendante d’une ancienne famille de la noblesse française, ce notaire de profession s’intéresse ardemment à la politique et participe activement au mouvement de résistance du Parti patriote.

Le 6 novembre 1837, lors du premier affrontement entre le Doric Club et les Fils de la Liberté sur la Place d’Armes de Montréal, Chevalier de Lorimier est blessé. 17 jours plus tard, un véritable combat armé éclate entre les patriotes, menés par le docteur Wolfred Nelson, et les Britanniques du général Charles Stephen Gore.  Cette bataille prend fin avec la défaite des britanniques. Toutefois, deux combats vont suivre (à Saint-Charles le 25 novembre, puis à Saint-Eustache le 14 décembre) et écraseront définitivement la rebellion patriote.

Portrait de François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier par Jean-Joseph Girouard.
Portrait de François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier par Jean-Joseph Girouard.

Chevalier de Lorimier, qui assurait le ravitaillement du camp de Saint-Eustache, s’enfuit aux États-Unis après l’ultime défaite et rejoint les insurgés qui ont réussi à fuir. C’est l’occasion de préparer la revanche patriote. Pour cela, il participe à la création d’une seconde organisation paramilitaire, les Frères chasseurs, dont le but est la mise en place d’une république indépendante au Bas-Canada1.

Leur nouvel objectif est de progressivement envahir le Bas-Canada à partir de la frontière américaine. Ils tenteront leur chance à deux reprises mais, là encore, la victoire est du côté britannique.

Le 10 novembre 1838 (soit près d’un an après la victoire patriote à Saint-Denis), de Lorimier tente de rejoindre la frontière après une insurrection manquée. Cependant, les choses se compliquent lorsqu’il s’égare dans les bois canadiens. Les troupes britanniques sont proches et finissent par l’arrêter deux jours plus tard.

Le procès

Transféré à la Prison du Pied-du-Courant, le chef patriote sera jugé pour haute trahison par un tribunal militaire avec un certain nombre de ses compagnons. Pendant ce temps, Adam Thom, le fondateur du Doric Club réclame des executions immédiates. Selon lui, « il serait ridicule d’engraisser cela tout l’hiver pour le conduire plus tard à la potence »2.

Pour les britanniques, il est nécessaire de faire de ces condamnés un exemple. Le 21 janvier, de Lorimier et onze de ses compagnons sont déclarés coupables et condamnés à la pendaison.

Tandis qu’on annonce une execution prévue pour le 15 février, de Lorimier, avec un sang-froid exceptionnel, décide d’écrire de nombreuses lettres pour annoncer son triste sort à ses proches : son cousin, son épouse et quelques amis bienveillants. Ces lettres émouvantes ont été publiées dans la presse quelques mois seulement après la mort de leur auteur avant d’être réunies pour la première fois dans un livre en 1996.

Pour ce premier Focus, nous avons souhaité mettre en avant l’une de ses dernières lettres, adressée à Guillaume Lévesque quelques heures seulement avant son execution. Cet ami patriote, emprisonné au même moment, fait partie des condamnés à mort.

Focus

(Passez le curseur sur la lettre pour activer l’effet loupe)

Lettre de Chevalier de Lorimier, prison de Montréal, à son ami Guillaume Lévesque, 15 février 1839, page 1. © Bibliothèque et Archives nationales du Québec Vieux-Montréal (Collection rébellion de 1837-1838, P224,S1,P78)
Lettre de Chevalier de Lorimier, prison de Montréal, à son ami Guillaume Lévesque, 15 février 1839, page 1. © Bibliothèque et Archives nationales du Québec Vieux-Montréal (Collection rébellion de 1837-1838, P224,S1,P78)
Lettre de Chevalier de Lorimier, prison de Montréal, à son ami Guillaume Lévesque, 15 février 1839, page 2. © Bibliothèque et Archives nationales du Québec Vieux-Montréal (Collection rébellion de 1837-1838, P224,S1,P78)
Lettre de Chevalier de Lorimier, prison de Montréal, à son ami Guillaume Lévesque, 15 février 1839, page 2. © Bibliothèque et Archives nationales du Québec Vieux-Montréal (Collection rébellion de 1837-1838, P224,S1,P78)

Lettre de Chevalier de Lorimier à son ami Guillaume Lévesque

2 pages, en français

Prison de Montréal,
15 février 1839
6 heures du matin

Mon cher Lévesque,

Je t’écrirai peu de mots en souvenir de tes bienfaits, et de notre amitié. Fatigué, épuisé, je n’ai pas besoin d’excuse. Tu connais ce qui me regarde. Mon cher ami, garde le souvenir de notre amitié – je prierai l’éternel de te rendre heureux comme tu le mérites. Le faible trouve un soutien généreux chez toi, l’opprimé un cœur sensible et l’honnête homme un ami désintéressé. Puisse le Fort des Forts veiller sur toi. Je pars, mais mon cœur reste avec mes amis et mon dernier soupir sera pour mon pays qui contient ce que j’ai de plus cher.

Adieu,
mon ami,
Chevalier de Lorimier

Guillme Lévesque
gentilhomme
condamné à mort.
Prison Neuve de Montréal

Cette touchante lettre montre une fois de plus l’impassibilité de Chevalier de Lorimier face à une fin inévitable. Son écriture est ferme, déterminée et sa signature reste élégante.

Le patriote ne le sait pas encore mais, grâce à l’influence de Philippe Panet, un éminent loyaliste de la famille de Lévesque, son ami parviendra à échapper à la peine capitale3. De Lorimier n’a pas eu cette chance.

Notes
  • Par l'Acte constitutionnel de 1791, le roi d’Angleterre Georges III a divisé le Canada en deux : le Haut-Canada qui adopte le droit anglais et le Bas-Canada qui garde le droit français.
  • Cité par Léandre Bergeron dans son Petit manuel d'histoire du Québec.
  • Pour en savoir plus sur Guillaume Lévesque, voir la notice dans le Dictionnaire biographique du Canada.
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J. M. Sultan
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