Portrait : Sebastiano del Piombo - Portrait d'homme, dit Christophe Colomb, 1519. Metropolitan Museum of Art (00.18.2). Manuscrit : Galvano Fiamma - Cronica de antiquitatibus civitatis mediolanensis, 1300-1344. Archivio Storico Civico e Biblioteca Trivulziana (Triv.1438).

Le continent américain mentionné 150 ans avant Christophe Colomb — Entretien avec Paolo Chiesa sur ses découvertes

L’analyse d’un manuscrit de Galvano Fiamma suggère que les marins italiens connaissaient déjà l’Amérique 150 ans avant la découverte attribuée à Christophe Colomb.

La Cronica universalis, rédigée en latin par le frère milanais Galvano Fiamma, contient une référence étonnante à une terre nommée Marckalada, située à l’ouest du Groenland. Cette terre est reconnaissable comme le Markland mentionné par certaines sources islandaises et identifié comme une partie de la côte atlantique de l’Amérique du Nord.

Le professeur Paolo Chiesa, expert en littérature latine médiévale, a fait cette découverte en analysant un manuscrit de la Cronica universalis. À cette occasion, nous lui avons posé 4 questions sur ses recherches.

Passéisme : Entre 1339 et 1345, Galvano Fiamma a rédigé sa Cronica universalis dans laquelle il mentionne une « terra que dicitur Marckalada ». Comment avez-vous assimilé Marckalada au continent américain ?

Paolo Chiesa : Galvano désigne une succession de terres situées dans l’Atlantique Nord, d’est en ouest : dans l’ordre, la Norvège, l’Islande, le Groenland. Puis il écrit qu’à l’ouest du Groenland se trouve une autre terre appelée Marckalada. Ce nom est le même (à part quelques différences graphiques facilement explicables dans le latin de l’époque) à la terre appelée Markland dans deux célèbres sagas nordiques : la Saga d’Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais.

Ces textes racontent les voyages des navigateurs vikings vers les terres à l’ouest du Groenland, c’est-à-dire au même endroit indiqué par Galvano, qui sont identifiés par les savants avec les régions côtières de l’Amérique du Nord (Terre-Neuve ou Labrador).

Galvano Fiamma – Cronica de antiquitatibus civitatis mediolanensis (1r), 1300-1344. Archivio Storico Civico e Biblioteca Trivulziana (Triv.1438).

Des détails sont-ils donnés sur cette terre ? Avons-nous des informations topographiques qui paraissent véridiques ou est-ce surtout d’ordre mythologique (avec, notamment, la mention des géants) ?

À propos de Marckalada, Galvano dit « qu’il y a des arbres verts, des animaux et une grande quantité d’oiseaux », et ajoute que des géants y vivent, comme cela se déduit du fait qu’il y a des bâtiments avec d’énormes dalles de pierre. Ces informations donnent des indices provenant de différentes sagas, voire en référence à des lieux différents, et appartiennent en partie à la tradition narrative nordique (les géants).

Cependant, les détails concernant les bois et les animaux sont intéressants, car les terres nordiques sont décrites par d’autres sources comme stériles et inhospitalières. En tout cas, l’auteur précise que seules des rumeurs circulent sur cette terre, et qu’il est difficile de connaître des nouvelles précises.

L’auteur semble avoir construit son récit à partir d’une grande variété de sources. Quelles étaient ces sources ?

Selon Galvano, ses sources sont des marins (en latin, marinarii) qui fréquentent les mers du nord. Au lieu de cela, il ne cite pas de livres, comme il le fait habituellement lorsqu’il utilise des sources écrites. Le plus probable est qu’il recueille ici les nouvelles qu’il avait entendues des marins génois, car il connaissait cette ville et avait des relations avec les gens qui y vivaient.

À cette époque, la ville de Gênes tenait un rôle important dans le commerce méditerranéen ; certes, les marchands génois avaient des relations avec les marchands du nord de l’Europe (Angleterre, Flandre, Allemagne, Danemark…) et le flux de nouvelles du Nord vers le bassin méditerranéen est dû à ces contacts. Galvano dit clairement qu’il s’agit de rumeurs, car cela correspond parfaitement à une propagation de ce type.

Galvano Fiamma – Cronica de antiquitatibus civitatis mediolanensis (6r), 1300-1344. Archivio Storico Civico e Biblioteca Trivulziana (Triv.1438).

Enfin, Galvano Fiamma semblait être un personnage reconnu à son époque – il était notamment proche des Visconti. Bien que certaines de ses sources soient orales, comment expliquer que ces terres du nord n’apparaissent pas dans les cartes un peu plus tardives, comme la Carte génoise de 1457, réalisée plus d’un siècle après la Cronica universalis ?

En effet, la première moitié du XIVe siècle (époque de Galvano Fiamma) est une période de fort développement de l’activité cartographique, qui a pour centre la Méditerranée occidentale : Gênes, Majorque, Catalogne (pas cependant Milan, qui est une ville de l’intérieur). Les cartes qui sont élaborées à cette période montrent une plus grande précision dans la représentation des pays nordiques (Angleterre, Scandinavie), qui peut résulter de contacts maritimes ; mais ils n’ont pas de représentations des terres transatlantiques, ni du Groenland.

Cette absence subsiste jusqu’à la fin du XVe siècle. Je ne suis pas un expert en histoire de la cartographie mais mon opinion est que les nouvelles concernant ces terres étaient probablement trop vagues pour trouver une représentation censée être « scientifique », comme celle figurant sur une carte ; tout au plus ont-elles laissé des traces dans les petites îles qui, à partir de la seconde moitié du XIVe siècle, apparaissent dans l’Atlantique sous des noms différents.

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J. M. Sultan
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