Poèmes manuscrits et photographies d'Hannah Senesh. © The Hannah Senesh Collection at the National Library of Israel.

L’émouvante histoire des manuscrits d’Hannah Senesh

Le récent don des archives d’Hannah Senesh est l’occasion parfaite pour revenir sur l’émouvante histoire de cette courageuse parachutiste, au cœur de la Seconde Guerre mondiale.

Une héroïne parachutiste

Hannah Senesh – dont le nom est parfois orthographié Szenes – est née dans une maison où l’écriture faisait partie intégrante de la vie de famille. Son père, Béla, était un journaliste, dramaturge et auteur pour enfants célèbre en Hongrie. Ainsi, Hannah commença à écrire dès son plus jeune âge. Elle a d’abord écrit dans sa langue maternelle, le hongrois, puis, après son arrivée en Palestine mandataire, elle apprit l’hébreu et a très vite maîtrisé l’écriture dans cette langue. Durant des années, elle écrivait constamment et tenait un journal.

Studieuse, elle était inscrite dans une école privée protestante pour filles qui accueillait également des élèves de toute confession. Cependant, les enfants de confession catholique et juive devaient payer le double et le triple du montant payé par les protestants. Considérée comme une étudiante douée, la famille Senesh a été autorisée à ne payer « que » le double du montant.

Hannah Senesh en uniforme scolaire à 16 ans. © Bibliothèque nationale d’Israël (002782783).

À partir de 1938, alors qu’Hannah fête ses 17 ans, la Hongrie de Miklós Horthy adopte une série de mesures anti-juives1 en imitation des lois allemandes de Nuremberg. Ces lois ont commencé par restreindre les professions exercées par les Juifs et à interdire tout emploi au sein du gouvernement. Ensuite, une loi a défini le statut racial des Juifs avant de prohiber, en 1941, les mariages mixtes et d’interdire les rapports sexuels entre Juifs et non-Juifs.

Ce climat délétère a eu une grande influence sur Hannah et l’a incité à embrasser le sionisme en adhérant à Maccabea, une organisation d’étudiants sionistes hongrois. Très vite, elle émigre en Palestine mandataire et rejoint le kibboutz Sdot Yam avant de rejoindre la Haganah, le groupe paramilitaire qui a jeté les bases de l’Armée de défense d’Israël.

La mission de la SOE

En 1943, Hannah est enrôlée dans la British Women’s Auxiliary Air Force en tant qu’aviatrice de 2e classe2. Elle sera ensuite recrutée dans le Special Operations Executive (SOE) et envoyée en Egypte pour une formation de parachutiste.

Plus tard, elle fait partie des 37 recrues juives du SOE parachutées par les Britanniques en Yougoslavie afin de libérer les Juifs hongrois sur le point d’être déportés vers le camp de la mort à Auschwitz.

Le 14 mars 1944, elle et ses collègues Yoel Palgi et Peretz Goldstein sont parachutés et rejoignent un groupe partisan. À leur arrivée, ils apprennent que les Allemands ont déjà occupé la Hongrie et que la mission allait certainement être annulée car jugée trop dangereuse. Toutefois, Hannah et ses compagnons décident de continuer et se dirigent vers la frontière hongroise où ils seront arrêtés. Malheureusement, à la frontière, son émetteur militaire britannique utilisé pour communiquer avec le SOE est repéré. Emprisonnée, elle sera déshabillée, attachée à une chaise, puis fouettée et matraquée pendant des jours.

L’objectif des gardes hongrois était de connaître le code de son émetteur afin de découvrir l’identité et la position des autres parachutistes. Mais, après plusieurs jours de torture, elle ne révèle que son nom et refuse de fournir le code de l’émetteur, même lorsque sa mère est également arrêtée et que l’on menace de la tuer si elle ne coopérait pas.

Hannah Senesh. © Fonds national Juif.

Le jugement

En prison, 7 mois s’écoulent durant lesquels Hannah écrit fiévreusement dans son journal et rédige des poèmes. Le 28 octobre 1944, elle est jugée pour trahison. Huit jours sont donnés aux juges afin de trouver un verdict mais la sentence est irrévocable : le 7 novembre, elle est exécutée par un peloton d’exécution. Elle avait 23 ans.

Jusqu’à son dernier jour, elle tenait méticuleusement les entrées de son journal. Parmi ces dernières, l’on trouve des passages particulièrement émouvants : « Au mois de juillet, j’aurai vingt-trois ans / J’ai joué un certain nombre dans une partie / Les dés ont roulé. J’ai perdu […] J’ai adoré la chaleur du soleil. »

Et, après son exécution, une petite et brève note en hongrois est trouvée dans sa robe. Cette note s’adressait à sa mère, Katherine : « Chère maman, je ne sais pas quoi te dire. Je dirai seulement ceci : mille mercis et plus, et pardonne-moi, si tu peux. Après tout, vous comprendrez mieux que quiconque que les mots ne sont plus nécessaires maintenant. Avec beaucoup d’amour, votre fille. »

Dans les années 1950, Katherine Senesh a fait don de quatre pages manuscrites contenant des poèmes écrits par sa fille à la Bibliothèque nationale d’Israël. Aujourd’hui, avec le récent dépôt de l’intégralité de la collection Hannah Senesh, ces pages seront réunies avec le cahier dont elles provenaient à l’origine.

La dernière note écrite par Hannah Senesh, retrouvé dans sa robe après son exécution. © The Hannah Senesh Collection at the National Library of Israel.

Le cahier d’Hannah

Parmi les documents donnés par Katherine Senesh figuraient quelques-unes de ses lettres ; certaines envoyées à sa mère alors qu’elle fréquentait l’école agricole de Nahalal, une lettre envoyée à son frère alors qu’elle était avec les partisans dans les Balkans, et une autre envoyée à une amie. Il y avait également une collection de poèmes dactylographiés, écrits en hongrois, ainsi que quatre poèmes manuscrits en hébreu. Tous ont été écrits en 1941 dans divers endroits liés à la vie de Senesh dans l’Israël pré-État : Nahalal, le kibboutz Sdot Yam, dont elle était membre fondateur, et Ginosar. Avec ce don, ils rejoignent la Collection Schwadron3.

En analysant ces pages manuscrites, l’on remarque que les coins supérieurs des pages sont numérotés et que ces pages semblent avoir été arrachées d’un cahier ; ce qui était le cas et, aujourd’hui, nous connaissons enfin l’histoire de ce cahier.

En effet, juste avant de se lancer dans sa mission dans les Balkans, Hannah a soigneusement copié ses poèmes dans un cahier qu’elle a intitulé Lelo SafaSans langue ») bien que la plupart des poèmes, signés de son nom de code « Hagar », soient en hébreu. Puis, elle donne ce cahier à une amie et camarade de classe à l’école agricole Nahalal pour filles, Miriam Yitzhak. Sur la première page, elle prit le temps d’ajouter une dédicace : « À Miriam Yitzhak, ma première et très chère lectrice et critique, en véritable amitié, Hannah. »

Deux poèmes du cahier manuscrit d’Hannah Senesh. Les pages manquantes sont visibles, car la page de droite est numérotée « 10 » et celle de gauche est numérotée « 13 ». Les pages 11 et 12 font partie de celles qui ont été arrachées dans les années 1950 et données à la Bibliothèque nationale. © The Hannah Senesh Collection at the National Library of Israel.

Lorsque sa mère Katherine Senesh arrive en Israël et commence à collecter des poèmes et des lettres pour la commémoration de sa fille, elle demande à Miriam, qui avait gardé le précieux cahier, de lui envoyer des poèmes écrits par Hannah. Dans une lettre que Katherine a adressé à Abraham Schwadron, elle mentionne les scrupules de Miriam à l’idée de déchirer des pages du cahier : « Cette fois, j’envoie les poèmes que j’ai promis, ceux que l’amie d’Hannah, après de nombreuses hésitations, était prête à arracher du cahier. »

C’est ainsi que les pages ont rejoint les archives de la Bibliothèque nationale d’Israël. Des décennies plus tard, ces pages déchirées peuvent enfin rejoindre le cahier complet car, après la mort de Miriam Yitzhak, le neveu de Hannah, Eitan Senesh, a récupéré ce cahier et a géré, catalogué et entretenu la collection Hannah Senesh durant des années. En novembre 2020, lorsque la famille a décidé de déposer l’intégralité de la collection Hannah Senesh à la Bibliothèque nationale, Eitan a avoué qu’il s’était demandé à plusieurs reprises ce qui était arrivé à ces pages manquantes, les fameuses pages numérotées 7, 8, 11 et 12. Il ne savait pas que sa grand-mère, Katherine, les avait déjà remises à l’institution, soixante-dix ans plus tôt.

Enfin, en plus du cahier manquant, des dizaines d’autres objets liés à Hannah ont été déposés, parmi lesquels sa machine à écrire, son appareil photo, ses certificats, et diverses lettres et photographies.

Hannah Senesh dans l’arrière-cour de la maison familiale à Budapest, vers 1939. © The Hannah Senesh Legacy Foundation.

Néanmoins, avec ce don, le service des archives de la Bibliothèque nationale est maintenant confronté à un dilemme : faut-il restaurer et rattacher physiquement les pages déchirées au cahier original d’Hannah Senesh ou les laisser séparément dans la collection d’autographes d’Abraham Schwadron ?

Matan Barzilai, qui dirige le département des archives, a hésité mais a finalement pris une décision non conventionnelle : « Bien qu’il ne fasse aucun doute que les pages ont été arrachées [du cahier], et qu’il est de notre devoir de refléter le travail tel qu’il était à l’origine, dans ce cas, je suis enclin à laisser les choses telles qu’elles sont.

L’histoire d’Hannah Senesh ne s’est pas terminée en 1944. Les archives reflètent également le processus de commémoration et la création de l’héritage entourant sa personnalité. La délibération franche de Katherine, ses communications avec Schwadron et les poèmes déchirés […] offrent tous un aperçu authentique de la culture du souvenir dans les premières années de l’État, de l’implication de Katherine dans la commémoration de sa fille, et l’attitude des bibliothécaires de l’époque vis-à-vis de la préservation de l’œuvre originale. »

Ainsi, malgré ce dilemme, les pages seront conservées hors du cahier, telles qu’elles l’ont été durant ces soixante-dix dernières années.

Notes
  • En 1944, la Hongrie abrite plus de 800 000 Juifs, du fait de l’annexion de certaines régions de Slovaquie, de Roumanie et de Yougoslavie. En mai, les déportations vers Auschwitz débutent et c'est, au total, près de 565 000 Juifs hongrois qui seront assassinés.
  • En pleine guerre mondiale, ces femmes étaient exposées aux mêmes dangers que tous ceux qui travaillaient sur le « front intérieur » dans des installations militaires. Elles étaient actives dans le parachutisme et l'équipage de ballons de barrage en plus de gérer la restauration, la météorologie, le radar, la maintenance des aéronefs, le transport, les communications ainsi que les opérations téléphoniques et télégraphiques.
  • Abraham Sharon (1878-1957), né Schwadron, était un journaliste, philosophe et musicien israélien. Il est connu pour avoir établi une célèbre collection d'autographes et portraits aujourd'hui rassemblés à la Bibliothèque nationale d'Israël.
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J. M. Sultan
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