Les dernières lettres de l’Holocauste

Le mémorial de Yad Vashem a présenté la dernière partie de sa série d’expositions consacrées aux dernières lettres de l’Holocauste. Cette série documente les dernières communications envoyées par les Juifs confrontés au génocide nazi.

Parmi les millions de Juifs assassinés durant l’Holocauste, nous ne saurons jamais combien d’entre eux ont rédigé une dernière lettre, adressée à leurs proches ou jetée à la fenêtre d’un train de déportation, dans l’espoir de trouver quelqu’un pour acheminer la missive.

Cette exposition – quatrième et dernier chapitre d’une série spéciale sur les dernières lettres dans lesquelles tous les auteurs ont été assassinés dans l’Holocauste – nous montre le destin commun des Juifs durant la Seconde guerre mondiale. Consacrée à l’année 1944, elle comprend les rares lettres conservées de Juifs européens adressées à leurs proches, beaucoup exprimant l’espoir d’une réunification avant leur mort prochaine.

Aharon et Alta Schwartz et leurs deux jeunes fils Abramek (deuxième en partant de la droite) et Motek à Sosnowiec, en Pologne avant la guerre. Tous les quatre ont été assassinés durant l’Holocauste. © Yad Vashem Photo Archives 9648/10

« Avec de moins en moins de survivants qui peuvent témoigner de ce qu’ils ont vu, cela rend ces dernières lettres d’autant plus précieuses. » précise Orit Noiman, directrice de projet au mémorial de Yad Vashem. « C’est pourquoi il est si important pour nous de rassembler toutes les preuves de l’Holocauste ; c’est le seul témoignage que nous ayons de quelqu’un qui ne peut plus être avec nous. »

En effet, parmi les nombreuses tentatives des déportés pour correspondre avec leurs proches, peu de lettres ont pu atteindre leur destination. Quant aux missives présentées dans cette exposition, elles ont été envoyées depuis des maisons, des cachettes, des ghettos, des camps et même des trains de déportation pour tenter d’exprimer leur désir de se rapprocher de leurs familles.

« En lançant les lettres [des trains] – et la plupart d’entre elles provenaient de Juifs de Belgique, de France et d’Italie -, ils espéraient que quelqu’un serait suffisamment humain pour les envoyer à leur famille », rajoute Naama Galil, chargée de projet à Yad Vashem. « La plupart des Juifs de l’Europe de l’Ouest ont supposé qu’ils étaient transportés pour travailler, mais ils n’étaient pas certains et souhaitaient que leurs proches les lisent. Il y avait aussi ceux qui ne s’attendaient manifestement pas à survivre et voulaient rassembler des preuves pour raconter leur expérience aux générations futures. »

« Aujourd’hui ou demain, je serai emmené au camp. Que Dieu m’aide à surmonter cela aussi. J’ai beaucoup souffert, mais j’ai survécu parce que je croyais au bon Dieu et que mon grand amour pour toi, Mutzek, m’a donné la force. […] J’écris ceci au cas où je ne survivrais pas, mais j’ai le sentiment que nous nous reverrons. » Dernière lettre que Regina Kandt a envoyée à son mari Max et à son fils Rudy. © Yad Vashem Archives, 0. 10/22

L’année 1944 marque un revirement de situation dans le conflit mondial. En mai, le territoire de l’URSS est complètement libéré. Trois mois plus tard, la resistance polonaise se soulève contre l’occupant allemand et, le 25 août, Paris est libéré. Pourtant, comme le précise Yona Kobo, coordinatrice des expositions en ligne, ces changements ne ralentirent pas les crimes nazis.

« En 1944, les nazis se dirigeaient déjà vers la défaite et leur armée se retirait vers les frontières allemandes. Malgré cela, la destruction de la communauté juive européenne s’est poursuivie à un rythme soutenu. Les derniers Juifs de Grèce, d’Italie, de France, de Hollande et de Slovaquie ont été assassinés en 1944 et les nazis ont commencé la déportation massive de 500 000 Juifs hongrois vers Auschwitz pour y être exterminés.

Les lettres présentées dans l’exposition ont été retrouvées dans les collections de documents conservés aux Archives de Yad Vashem. Elles ont été écrites il y a 75 ans sur de petits morceaux de papier ou au verso de cartes postales, parfois tachées des larmes de l’expéditeur et des destinataires. À travers le prisme de ces lettres, nous racontons l’histoire d’individus dans la Shoah et nous restaurons les noms et les visages des victimes. »

« Je t’en prie, aime-la comme une mère, pour qu’elle ressente moins mon absence. Ne lui dis pas où je suis. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de courage dans sa jeune âme et de nombreuses questions sans réponses. » Dernière lettre d’Isabella Fodor. Isabella Fodor a écrit ces mots dans une lettre à Mme Szomor, dans laquelle elle lui a demandé d’adopter sa fille Gita. Isabella a été assassinée à Auschwitz. Gita a survécu. © Yad Vashem Archives, 0. 75/1178

Les émouvantes lettres présentées dans ces quatre expositions en ligne sont à consulter en parallèle des « manuscrits de l’extrême » actuellement visibles à la Bibliothèque nationale de France qui présente, entre autres, des lettres de Simone et Marie Alizon adressées à leur père. Membres du réseau Johnny, les deux sœurs sont arrêtées en 1942. Durant le trajet vers Auschwitz-Birkenau, elles jettent ces lettres du train qui, grâce aux chaînes de solidarité autour des convois de déportation, parviendront à leur destinataire.

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J. M. Sultan
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