Manuscrit : Isaac Newton, manuscrit autographe sur la peste. © Bonhams. Gravure : Sir Isaac Newton par George Vertue.

Les notes inédites d’Isaac Newton sur la grande peste de Londres bientôt en vente

Alors que la pandémie de Covid-19 bouleverse encore notre quotidien, un rare manuscrit d’Isaac Newton relatif à une autre épidémie, la grande peste de Londres de 1665, refait surface.

Les historiens donnent le nom de « peste noire » à la pandémie de peste qui sévit au Moyen Âge, au milieu du XIVe siècle. Cette pandémie eut diverses manifestations, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. L’une d’elle, en 1665, frappa l’Angleterre et décima près d’un tiers de la population londonienne.

Un brillant scientifique dans les années 1665-1670

À cette époque, Isaac Newton est encore étudiant au Trinity College de Cambridge. Par mesure de précaution, l’université renvoie ses étudiants et ferme ses portes tandis que Newton se rend à Woolsthorpe, sa ville natale, pour effectuer en quarantaine ses recherches en chimie, mathématiques et physique, en s’imprégnant des travaux du physicien Robert Boyle et du chimiste Jean-Baptiste Van Helmont.

Durant la grande peste de Londres, un tombereau vient emporter un cadavre à passer par la fenêtre, sur la porte on peut lire le début de l’inscription Lord have mercy. © Wellcome Library (ICV No 10864).

Lorsque le jeune scientifique retourne au Trinity College en 1667, ses découvertes sont déjà exceptionnelles. En l’espace de quelques mois, il obtient le titre de minor fellow (destiné aux brillants chercheurs encore peu spécialisés) avant d’accéder au statut de major fellow et d’obtenir le titre de Master of Arts. Pour ce dernier, il est nécessaire de prendre les ordres au sein de l’Église anglicane pour une durée minimale de sept ans. C’est ainsi qu’Isaac Newton est ordonné prêtre anglican.

Un peu plus tard, âgé de seulement 29 ans, il entre à la Royal Society de Londres, où il fera la rencontre d’un influent scientifique : Robert Boyle.

Isaac Newton et la peste

En 1767-1768, probablement juste après son retour à Cambridge, Isaac Newton revient sur l’épisode de la peste qui a considérablement marqué les esprits et décide de commenter un ouvrage de Van Helmont sur la peste, sobrement intitulé De Peste. Des références aux travaux de Van Helmont se trouvent par ailleurs dans un certain nombre de manuscrits chimiques de Newton, et le seul autre manuscrit de notes sur l’œuvre de Jean-Baptiste Van Helmont est son Causae et initia naturalium (King’s College, Keynes MS 16).

Précisons que le chimiste belge était aussi un brillant médecin qui pratiquait à Anvers lors de la grande peste de 1605. Il restera d’ailleurs l’un des scientifiques les plus influents du XVIIe siècle. Fin observateur, il a insisté sur l’importance de collecter et analyser des données expérimentales. Considéré comme le fondateur de la chimie pneumatique, il découvre le gaz carbonique et invente, par la même occasion, le mot « gaz » (en néerlandais gas) à partir du latin chaos. Il a également été le premier à démontrer qu’il existe d’autres gaz distincts de l’air atmosphérique.

Gravure représentant Jean-Baptiste Van Helmont. © Wellcome Library (L0003194).

Dans le manuscrit – qui est la seule étude connue de Newton au sujet de la peste -, le scientifique analyse les connaissances médicales de Van Helmont et assimile à la fois les causes, les modes de transmission et les moyens de guérison. Il identifie les symptômes et les moyens de les déterminer, ainsi que les prescriptions pour éviter la peste.

Il note par exemple le cas d’un homme qui, après avoir touché « des roseaux pestilentiels, a immédiatement ressenti une douleur semblable à une aiguille et a développé un ulcère pestilentiel à l’index, avant de mourir deux jours plus tard ».

Certaines de ses observations sont aussi claires et logiques que les instructions de distanciation sociale qui nous concernent tous aujourd’hui (« les endroits infectés par la peste doivent être évités… ») tandis que d’autres apparaîtraient bien étranges aux scientifiques modernes. En se penchant sur les remèdes, Newton écrit ainsi : « le meilleur est un crapaud suspendu par les jambes dans une cheminée pendant trois jours, qui a finalement vomi de la terre avec divers insectes, sur un plat de cire jaune, et peu de temps après sa mort. La combinaison du crapaud en poudre avec les excrétions et le sérum transformés en pastilles et portés autour de la zone affectée, a chassé la contagion et a éliminé le poison. »

Isaac Newton, manuscrit autographe sur la peste. © Bonhams.

Ce sont ces rares notes inédites, rédigées en latin, que la maison Bonhams propose à la vente.

Darren Sutherland, spécialiste du département Livres et manuscrits chez Bonhams New York, précise que « Van Helmont a eu une grande influence sur Newton. Les notes de Newton sont essentiellement son point de vue sur [son ouvrage] « De Peste », y compris les théories sur ses causes et les spéculations sur les remèdes. Ils représentent les seuls écrits significatifs sur le sujet du plus grand esprit scientifique du monde que nous ayons pu retracer. Un rappel opportun, peut-être, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »

Une vente de génie

Les manuscrits autographes d’Isaac Newton sur la médecine sont d’une grande rareté et aucun autre manuscrit sur la peste, un événement ayant beaucoup affecté Newton, n’est localisé. Le présent manuscrit qui, rappelons-le, n’est pas publié, est d’une importance capitale pour le corpus d’œuvres de Newton, ainsi que profondément significatif dans le contexte actuel.

Estimé entre 80 000 et 120 000 dollars (environ 72 000 – 110 000 euros), on retrouve une trace de ce document exceptionnel dans une vente opérée par Sotheby’s Portmouth en 1936 mais il n’a été redécouvert que récemment après avoir disparu pendant plus de 80 ans.

Le manuscrit fait partie d’une vente en ligne exceptionnelle qui se terminera le 10 juin. Intitulée « Essential Genius – Ten Important Manuscripts for Modern Times » (dix manuscrits importants pour les temps modernes), elle contient 9 autres documents d’exception dont :

  • une belle pensée autographe signée par Emmanuel Kant ;
  • un rare document manuscrit signé par le mathématicien Nikolaï Lobatchevski ;
  • une inédite lettre autographe signée de Charles Darwin ayant un impact direct sur sa théorie de l’évolution ;
  • une importante lettre autographe signée de Ludwig Wittgenstein sur les théorèmes de Kurt Gödel ;
  • une lettre autographe signée d’Albert Einstein dans laquelle il accepte avec humour son rôle de saint patron ;
  • l’unique lettre tapuscrite signée conservée rédigée par le physicien Wolfgang Pauli à David Bohm, sur l’interprétation de la théorie quantique.

Il y a quatre mois, c’est un autre important manuscrit de Newton qui a été vendu par Bonhams. Ce manuscrit, dans lequel le scientifique présentait ses théories sur l’existence de Dieu, n’avait pas dépassé les estimations. Peut-être que celui-ci ne suivra pas cet exemple au regard de la situation actuelle qui, malheureusement, rend ces notes inédites sur la peste particulièrement d’actualité.

Mise à jour : Ce manuscrit a été vendu 81 325 dollars (environ 72 400 euros), frais inclus.

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J. M. Sultan
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