Le dixième crime de Whitechapel (le meurtre de Frances Coles, commis le 13 février 1891). Gravure de Fortuné Méaulle d'après un dessin d'Henri Meyer (Le Journal illustré n°9, 1er mars 1891).

L’origine des lettres macabres envoyées par Jack l’Éventreur

Les fameux meurtres de Jack l’Éventreur ont eu lieu dans l’East End de Londres en 1888 et, bien que le meurtrier de Whitechapel ne soit une menace que pour une petite partie de la population londonienne, les crimes ont eu un impact énorme sur la société victorienne.

Jack l’Éventreur est le tueur en série le plus célèbre au monde et l’une des choses qui intriguent le plus à propos de cette vague de meurtres, c’est la raison d’une telle renommée. Son nom est apparu pour la première fois sous forme de signature sur une lettre envoyée au directeur d’une agence de presse londonienne à la fin du mois de septembre 1888.

C’est ce nom qui a eu pour effet de transformer cinq meurtres sordides en phénomène international et de catapulter le responsable des crimes dans le royaume de la légende1.

Les lettres de Jack l’Éventreur

Plus de 100 ans se sont écoulés depuis les meurtres de Whitechapel et il est toujours difficile de chiffrer exactement le nombre de lettres envoyées par de prétendus tueurs. Le 20 octobre 1888, le journal Illustrated Police News rapportait que la police avait recherché la provenance de plus de 700 lettres. Celles-ci peuvent, bien sûr, contenir des lettres offrant des suggestions sur la façon dont le meurtrier pourrait être appréhendé, ou même des informations qui auraient pu être destinées à aider la police à traduire le meurtrier en justice.

Certaines des missives avaient une intention malveillante mais beaucoup – environ 300 – étaient des farces écrites par des personnes qui considéraient les meurtres de cinq prostituées de l’East End comme un mélodrame public extrêmement divertissant auquel elles devaient juste participer… anonymement.

Photographie d’Annie Chapman, vers 1869.

Le 24 septembre, jour de clôture de l’enquête sur la mort d’Annie Chapman2, un auteur inconnu envoya une lettre à Sir Charles Warren, commissaire de la police métropolitaine. Rien n’indique que la police ait pris cette missive au sérieux, les lettres exagérées étant courantes dans les affaires très médiatisées. L’importance de cette lettre, cependant, est qu’elle allait précéder des centaines d’autres qui feront bouillonner les bureaux de la police londonienne :

Cher Monsieur
Je souhaite me rendre je suis dans une misère cauchemardesque Je suis l’homme qui a commis tous ces meurtres au cours des six derniers mois… Je suis un tueur de chevaux… J’ai trouvé la femme que je voulais c’est Chapman et je l’ai abattue mais si quelqu’un vient je me rendrai […] c’est le couteau avec lequel j’ai commis ces meurtres c’est un petit manche avec une grande lame longue aiguisée des deux côtés.

Au même moment, un autre farceur s’apprêtait à rédiger une autre lettre, et celle-ci aura non seulement d’énormes conséquences sur l’enquête, mais offrira au tueur un nom qui sera la garantie de son héritage.

La lettre « Dear Boss »

Au début, peu d’attention était donnée à cette lettre, écrite sur un ton vantard et adressée à « The Boss, Central News Office, London, City ».

25 sept. 1888

Cher ami,

Je n’arrête pas d’entendre que la police m’a attrapé, mais ils ne m’auront pas de sitôt. J’ai ri qu’ils se donnent un air si intelligent et parlent d’être sur la bonne voie. Cette blague sur le Tablier en cuir3 m’a donné de vraies crises. J’en ai après les putes et je ne cesserai de les éventrer jusqu’à ce que je sois bouclé. Du grand travail, ma dernière opération. Je n’ai pas laissé le temps à la dame de couiner.

Comment peuvent-ils m’attraper maintenant. J’aime mon travail et je veux recommencer. Vous entendrez bientôt parler de moi avec mes petits jeux amusants. J’ai gardé une partie des trucs rouges appropriés dans une bouteille de bière au gingembre au cours de mon dernier travail pour écrire, mais c’est devenu épais comme de la colle et je ne peux pas l’utiliser. L’encre rouge fera l’affaire, j’espère ha ha. Pour mon prochain travail, je couperai les oreilles de la dame et les enverrai aux policiers juste pour le plaisir. Gardez cette lettre jusqu’à ce que je fasse un peu plus de travail, puis diffusez-la directement.

Mon couteau est si bien aiguisé que je veux me mettre au travail tout de suite si j’en ai l’occasion.

Bonne chance.

Sincèrement vôtre
Jack l’éventreur

Ne m’en voulez pas d’utiliser un nom commercial.

Je n’ai pas pu poster ceci avant de me débarrasser de toute l’encre rouge sur mes mains, c’est pas de chance. Ils disent que je suis médecin maintenant. Ha ha

Initialement, la police était sceptique quant à la véracité de ces propos. Mais, moins d’un jour après que l’agence le leur ait transmis, deux autres femmes – Elizabeth Stride et Catherine Eddowes – sont assassinées aux premières heures du 30 septembre. Il fallait désormais prendre chaque indice au sérieux, en particulier la déclaration « J’aime mon travail et je veux recommencer. Vous entendrez bientôt parler de moi avec mes petits jeux amusants » et « Pour mon prochain travail, je couperai les oreilles de la dame » alors que le tueur avait effectivement mutilé les lobes d’oreilles de Catharine Eddowes.

Lettre « Dear Boss ».

Alors que leur enquête piétinait et que les critiques de la presse augmentaient, la police avait désespérément besoin d’une percée dans leur traque. Ainsi, le 1er octobre, ils décident de rendre publique la lettre « Dear Boss » et, ce faisant, les crimes d’un meurtrier inconnu de l’East End ont reçu une immortalité macabre.

La carte « Saucy Jacky »

Le même jour, une carte postale écrite avec une écriture similaire arrive à l’agence de presse centrale. Celle-ci était également écrite à l’encre rouge mais portait aussi ce qui semblait être des taches de sang. La carte portrait le cachet de la poste, celui-ci daté du 1er octobre. Si l’auteur n’était pas le même écrivain responsable de la lettre « Dear Boss », il ne faisait guère de doute qu’il connaissait au moins le contenu de cette missive.

Je ne plaisantais pas cher vieil Ami quand je vous avais donné le tuyau. Vous entendrez parler du travail de Saucy Jacky demain événement double cette fois-ci la numéro un couina un peu je n’ai pu terminer d’emblée. N’avais pas eu le temps de couper les oreilles pour la police merci d’avoir gardé la dernière lettre jusqu’à ce que je retourne au travail encore.
Jack l’Éventreur

Quelques jours après la publication de ces deux missives, des copies ont commencé à paraître dans la presse mondiale. Cette publicité s’est avérée être un véritable fléau pour la police car elle a déclenché un passe-temps national et, très vite, l’enquête s’est retrouvée submergé par un raz-de-marée de fausse correspondance. La police n’avait d’autre choix que de lire et d’évaluer chaque lettre, de se prononcer sur sa véracité et, si possible, de retrouver l’auteur et d’enquêter sur lui.

La carte « Saucy Jacky ».

À ce moment, la police était certaine que les deux envois n’avaient certainement pas été rédigés par la même main qui avait assassiné Mary Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride et Catharine Eddowes4.

En 1910, dans ses mémoires, Robert Anderson, qui au moment des meurtres était commissaire de police adjoint et chef du département des détectives, affirmait encore plus catégoriquement que la lettre était un canular, « la création d’un journaliste londonien entreprenant. »

Les lettres, de moins en moins sérieuses, arrivaient par dizaines lorsque, le 16 octobre 1888, George Lusk, président du Comité de vigilance du Mile End, reçoit la fameuse lettre « de l’Enfer ».

La lettre « From Hell »

Un thème récurrent dans la correspondance de Jack l’Éventreur était que l’écrivain – qui prétendait invariablement être le tueur – promettait d’envoyer une partie du corps d’une de ses victimes à la police. Cependant, les lettres qui sont arrivées à la suite de la missive originale ne contenaient « que » des dessins bruts de formes féminines avec des coupes déchiquetées illustrant où l’auteur ferait les mutilations promises.

Photographie de George Lusk, vers 1885.

Mais, à la mi-octobre 1888, une nouvelle lettre mit fin à la menace et, avec la suggestion supplémentaire que le tueur s’était également livré au cannibalisme, elle ajouta une couche d’horreur au mystère de Jack l’Éventreur.

Le destinataire de cette nouvelle lettre, George Lusk, avait constamment fait la une des journaux au cours des deux premières semaines d’octobre en raison de ses activités de patrouille de vigilance. En outre, il s’était également adressé à plusieurs réunions publiques et avait activement sollicité le ministère de l’Intérieur, les exhortant à repenser leur position sur le fait de ne pas offrir de récompense pour des informations qui pourraient permettre d’identifier le tueur.

Le mardi 16 octobre 1888, un petit paquet, enveloppé dans du papier brun et portant un cachet de la poste de Londres, fut livré à Lusk par la poste du soir. Le colis contenait un morceau de rein en putréfaction ainsi qu’une mystérieuse lettre :

De l’enfer

M. Lusk
Monsieur,
Je vous ai envoyé la moitié du rein que j’ai pris d’une femme conservé pour vous l’autre partie je l’ai frite puis mangée ; c’était très bon. Je pourrai vous envoyer le couteau ensanglanté qui
l’a pris si seulement vous attendez un peu plus longtemps.

signé
Attrapez-moi quand vous pourrez Monsieur Lusk.

Bien que pris de dégout, Lusk a tout de suite rejeté cette lettre comme une autre farce morbide et a présumé que le rein était celui d’un mouton ou d’un autre animal. Malgré ses doutes, il a demandé l’avis des autres membres du comité de vigilance, y compris le trésorier du comité, Joseph Aarons.

Aucun d’entre eux n’a partagé son opinion selon laquelle le paquet macabre était une farce. Le rein fut alors apporté à la chirurgie Mile End Road du Dr Frederick Wiles. Son assistant, le Dr Reed, examina le rein et a donné son avis : le rein provenait bien d’un être humain.

La lettre « From Hell ».

130 ans se sont écoulés et la disparition de tout ce qui est associé à ce paquet (même l’original de la lettre a depuis longtemps disparu), font qu’il est maintenant impossible de trancher avec un quelconque degré de certitude : le morceau de rein envoyé à M. Lusk faisait-il partie de celui retiré à Catherine Eddowes par son meurtrier ? La majorité des médecins semblent avoir été d’avis que la lettre était une farce et que le rein qui l’accompagnait représentait la partie malade du canular.

Cette opinion semble avoir été partagée par les policiers. La seule voix dissidente sur la question était celle du major Henry Smith, commissaire municipal par intérim, qui rappelle dans ses mémoires des éléments troublants :

J’ai remis le rein au chirurgien de police, en lui ordonnant de consulter les hommes les plus éminents de la profession, et de m’envoyer un rapport sans délai. J’en donne la substance : l’artère rénale mesure environ trois pouces de long. Deux pouces restaient dans le cadavre, un pouce était attaché au rein. Le rein laissé dans le cadavre était dans un état avancé de la maladie de Bright ; le rein qui m’a été envoyé était dans un état exactement similaire.

Mais ce qui était bien plus important, M. Sutton, l’un des chirurgiens principaux du London Hospital, à qui Gordon Brown a demandé de le rencontrer ainsi qu’un autre chirurgien en consultation, et qui était l’une des plus grandes autorités vivant sur le rein et ses maladies, a déclaré qu’il promettrait sa réputation que le rein qui leur était soumis avait été préparé dans les quelques heures suivant son retrait du corps, éliminant ainsi efficacement tous les canulars en rapport.

Mais, les médecins se contredisant sans cesse sur cette affaire, ce rapport sera, là encore, réfuté et tenu pour inexact ; le Dr Sedgwick Saunders rappelant qu’il « est tout à fait possible pour n’importe quel étudiant d’obtenir un rein [similaire] à cette fin. »

Le mystère reste entier

Compte tenu du temps et des ressources gaspillés par les nombreuses lettres signées Jack l’Éventreur, un nombre étonnamment faible de responsables ont été localisés par la police.

Aujourd’hui, le nombre de suspects dépasse la centaine et, chaque année, plusieurs livres publiés promettent la résolution du plus grand crime de l’histoire. Certains d’entre eux, il est vrai, ont réussi à dénicher de fascinantes informations et, ce faisant, ont ajouté une petite pièce supplémentaire au puzzle.

Un personnage suspect (A Suspicious Character), paru dans l’Illustrated London News, 13 octobre 1888.

En concentrant l’attention de la presse et du grand public sur les rues et les habitants de l’un des quartiers les plus pauvres et les plus criminels de Londres, Jack l’Eventreur, quel qu’il soit, a réussi à exposer les dessous sordides de la société victorienne. Ce faisant, il a contribué à faire prendre conscience aux citoyens les plus riches des conditions sociales épouvantables qui avaient été autorisées à se développer, en grande partie sans contrôle, juste à la porte de la City de Londres, l’un des quartiers les plus riches de la planète.

Quant à l’auteur de ces lettres morbides : étudiant farceur, complice ou vrai criminel… le mystère reste toujours entier et le tueur ne sera jamais arrêté.

En savoir plus…

Richard Jones est un auteur et historien, spécialiste de Jack l’Éventreur. Il est l’auteur de deux livres sur les meurtres de Whitechapel : Uncovering Jack the Ripper’s London et Jack the Ripper : The Casebook.

Il apparaît en tant qu’expert et conseiller historique dans presque tous les documentaires télévisés sur les meurtres de l’éventreur au cours des 20 dernières années, y compris History’s Mysteries: Jack the Ripper sur la chaîne History Channel et sur Channel 5 dans Jack the Ripper, The Definitive Story. Il donne également des conférences dans toute l’Europe sur les crimes de Jack l’Éventreur.

Richard Jones est également l’auteur du site Jack The Ripper 1888 et du Jack The Ripper Tour, le guide le plus célèbre sur l’affaire.

Notes
  • En effet, les meurtres de Whitechapel sont probablement les crimes les plus étudiés de l’histoire et, à ce jour, une énorme quantité de recherches à leur sujet est toujours en cours dans le monde entier.
  • Annie Chapman, née Eliza Ann Smith, est la seconde des cinq victimes habituellement attribuées à Jack l'Éventreur.
  • Tablier de cuir (Leather Apron en anglais) était l'un des surnoms donnés à Jack l'Éventreur.
  • Pour rappel, les quatre femmes ont été égorgées et leurs corps mutilés d'une manière indiquant que le tueur avait des connaissances anatomiques. L'orthographe rudimentaire qui apparaissait sur la lettre confirmait, d'une certaine façon, qu'il s'agissait d'un canular.

Richard Jones
Richard Jones
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