Louis-Ferdinand Céline en 1932, année où il obtint le prix Renaudot pour son roman Le Voyage au bout de la nuit.

Tout savoir sur la découverte et la publication des manuscrits inédits de Céline

Intitulé Guerre, le roman inédit de Louis-Ferdinand Céline paraîtra le mois prochain aux éditions Gallimard et rejoindra la collection Blanche. Retour sur une surprenante découverte.

Des manuscrits volés

En août 2021, le journal Le Monde annonçait la découverte d’un trésor de manuscrits rédigés par Louis-Ferdinand Céline. Parmi les documents, restés entre les mains du critique dramatique Jean-Pierre Thibaudat, figurent deux romans inédits (Guerre et Londres) ; 600 feuillets de Casse-pipe dont seuls quelques passages étaient connus ; 1 000 feuillets de Mort à crédit et de nombreux documents privés.

Ce sont près de 6 000 feuillets sur lesquels les chercheurs pourront travailler, probablement pendant des années. Selon Émile Brami, essayiste spécialiste de Céline, cette découverte n’a pas d’équivalence pour la littérature du XXe siècle.

« On y trouve plusieurs blocs inédits d’une importance capitale. Dans une lettre à son éditeur Robert Denoël du 16 juillet 1934, Céline disait travailler à un projet divisé en trois parties : « Enfance, Guerre, Londres ». L’enfance, il l’a traitée dans Mort à crédit, la première guerre mondiale au début de Voyage au bout de la nuit et Londres dans Guignol’s band. Mais les manuscrits retrouvés semblent être des projets distincts, qui pourraient être destinés à ce triptyque », précise-t-il dans Le Monde.

L’histoire de cette découverte ressemble d’ailleurs à un roman : Jean-Pierre Thibaudat est un jour contacté par un lecteur de Libération, journal pour lequel il travaillait. Son correspondant lui apporte alors environ un mètre cube de documents manuscrits, rédigés par Louis-Ferdinand Céline. Seulement, il y a une condition. Le donateur anonyme précise que les manuscrits ne doivent être rendus publics qu’après le décès de la veuve de Céline, la danseuse Lucette Destouches. Céline et sa femme ayant été des sympathisants nazis, le donateur ne souhait pas voir des manuscrits estimés à plusieurs millions d’euros bénéficier à la veuve d’un écrivain antisémite et collaborationniste ; Céline ayant toujours été un personnage clivant, controversé pour des pamphlets antisémites d’une rare violence (Bagatelles pour un massacre, L’Ecole des cadavres) et sa proximité avec l’Allemagne nazie.

Fremdenpass (passeport provisoire d’étranger) fourni à Céline sous l’Occupation : ce document lui servit à fuir la France pour l’Allemagne, puis le Danemark. © Collection François Gibault.

Lorsque Lucette Destouches meurt en novembre 2019, à l’âge de 107 ans, Jean-Pierre Thibaudat s’empresse de contacter un spécialiste parisien du droit d’auteur qui approche les nouveaux ayants droit de l’œuvre de Céline. Il souhaitait alors publier les manuscrits puis d’en faire don à une institution… jusqu’à l’apparition des deux ayants droit : François Gibault, avocat et écrivain, et Véronique Chovin, une amie de 69 ans de la veuve de Céline qui a rappelé avec indignation que les manuscrits avaient été volés en 1944 après que le couple eut fui avec de faux papiers pour échapper à l’épuration.

En effet, Céline de son vivant ne cessait d’en parler : « Ils ne m’ont rien laissé, pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit ». Ainsi s’exclamait l’auteur lorsqu’il se rappelait du vol de milliers de feuillets, dans son appartement de Montmartre en 1944. Et, en 1950, dans une lettre à son ami Pierre Monnier, il ajoutait : « Il faut le dire partout si Casse-pipe est incomplet c’est que les Épurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrit dans les poubelles de l’avenue Junot ».

Les ayants droit décident de porter plainte pour recel de vol et mènent l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris tandis que, lors de son interrogatoire par le juge d’instruction, le critique de théâtre, qui avait passé des années à transcrire et identifier tous les manuscrits sans jamais avoir eu l’intention de s’enrichir, remit de son plein gré les archives aux autorités jusqu’à ce qu’elles soient récupérées par les ayants droit. Pour autant, il était hors de question de révéler le nom du donateur en raison du « secret des sources ». Le 21 septembre, au motif d’une « infraction insuffisamment caractérisée », l’affaire est classée sans suite.

Quant au devenir de ces documents, François Gibault et Véronique Chovin envisageaient de donner l’intégralité du manuscrit de Mort à crédit à la Bibliothèque nationale de France sous forme de dation afin de régler les frais de succession liés à cette découverte. Le monde de l’édition allait s’occuper de reste.

Un rêve pour Gallimard

La découverte de manuscrits inédits est toujours un bouleversement pour les éditeurs. On se souvient, l’année dernière, de la publication chez Gallimard des Soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits de Marcel Proust, découverts dans un carton conservé par l’éditeur Bernard de Fallois, décédé en 2018.

Dès l’apparition des documents de Céline, Antoine Gallimard avait annoncé à l’AFP que sa maison d’édition « doit jouer le rôle qui a toujours été le sien depuis 1951, conformément au souhait de l’auteur : l’éditeur exclusif de son œuvre littéraire. Nous ne manquerons pas à l’appel, tant par enthousiasme que par devoir. »

La couverture du premier inédit publié à partir de ces documents : Guerre (Gallimard, 2022).

Dans un entretien avec France Culture, le président des éditions Gallimard rappelait aussi que Lucette Destouches leur « avait accordé un droit de préférence sur les inédits » et donnait la liste des textes qu’il entendait bien publier : « Il y a un roman autour de Londres où Céline s’est fait beaucoup d’amis, dans un milieu interlope, avec pour titre La Guerre. Il y a Casse-pipe dont, je vous le rappelle, on n’a publié qu’un petit fragment. Il y a un texte qui s’appelle Londres, couvrant son séjour londonien qui était très important pour lui en 1915, un texte qui a un lien avec Le Pont de Londres qui s’intitule Guignol’s band II aujourd’hui. Il y aussi un roman moyenâgeux, La Volonté du roi Krogold, qui avait été refusé par l’éditeur Denoël et puis le manuscrit complet de Mort à crédit. C’est tout un ensemble. […] »

Annonces en série

Cette semaine, Gallimard annonçait enfin le titre du premier inédit à se retrouver en librairie : le 5 mai paraîtra dans la collection Blanche, Guerre, un roman sur les traumatismes vécus par l’auteur durant la Première Guerre mondiale.

Le soldat Louis Ferdinand Destouches en octobre 1914.

Dans sa présentation, l’éditeur évoque les documents à l’origine de cette publication et la genèse du récit :

Parmi les manuscrits de Louis-Ferdinand Céline récemment retrouvés figurait une liasse de deux cent cinquante feuillets révélant un roman dont l’action se situe dans les Flandres durant la Grande Guerre. Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932), une pièce capitale de l’œuvre de l’écrivain est mise au jour.

Car Céline, entre récit autobiographique et œuvre d’imagination, y lève le voile sur l’expérience centrale de son existence : le traumatisme physique et moral du front, dans l’« abattoir international en folie ». On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où, gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu’à son départ pour Londres. À l’hôpital de Peurdu-sur-la-lys, objet de toutes les attentions d’une infirmière entreprenante, Ferdinand, s’étant lié d’amitié au souteneur Bébert, trompe la mort et s’affranchit du destin qui lui était jusqu’alors promis.

Ce temps brutal de la désillusion et de la prise de conscience, que l’auteur n’avait jamais abordé sous la forme d’un récit littéraire autonome, apparaît ici dans sa lumière la plus crue. Vingt ans après 14, le passé, « toujours saoul d’oubli », prend des « petites mélodies en route qu’on lui demandait pas ». Mais il reste vivant, à jamais inoubliable, et Guerre en témoigne tout autant que la suite de l’œuvre de Céline.

À cette occasion, la maison historique prévoit aussi une exposition intitulée Céline, les manuscrits retrouvés, à la Galerie Gallimard, du 6 mai au 16 juillet. Deux autres inédits ont également été annoncés pour cette année : Londres, récit de son départ pour la capitale britannique en 1915, et un conte médiéval, La Volonté du roi Krogold.

Quant à la nouvelle édition de Casse-pipe, c’est en 2023 qu’elle paraîtra avec le tome III des romans de Céline dans la Bibliothèque de la Pléiade.


J. M. Sultan
J. M. Sultan
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