Portrait aux trois-quarts de Ferdinand, duc d'Orléans, 1841. © Roquigny / Studio Sebert

Deux dessins inédits d’Ingres pour le nouvel an

La maison de ventes Roquigny de Saint-Valery-en-Caux présentera, pour sa vente traditionnelle du nouvel an, deux dessins inédits par l’un des peintres les plus appréciés du XIXe siècle, Jean-Auguste-Dominique Ingres.

 

Portrait du comte Mathieu Molé

Le premier de ces dessins est une œuvre préparatoire au Portrait du comte Louis-Mathieu Molé conservé au Musée du Louvre.

Homme d’État, le comte de Molé est successivement ministre de la Justice sous l’Empire, ministre de la Marine et des Colonies sous la Restauration, ministre des Affaires étrangères puis président du Conseil sous la monarchie de Juillet. Il avait très certainement fait la connaissance d’Ingres en tant que proche de la famille d’Orléans.

Ce dessin, signé en bas à gauche par l’artiste et daté 1833 dans le coin inférieur droit, est réalisé au fusain, estompe et rehauts de craie blanche sur papier beige. Il montre la pose définitive, le comte ayant le coude appuyé sur la ligne d’un fauteuil – qui deviendra un fauteuil Louis XIII dans l’œuvre finale.

Portrait aux trois-quarts de Monsieur le Comte Molé, 1833. © Roquigny / Studio Sebert
Portrait aux trois-quarts de Monsieur le Comte Molé, 1833. © Roquigny / Studio Sebert

Ingres, bien que portraitiste talentueux, n’aimait pas cette discipline, comme le rapporte Charles Marcotte d’Argenteuil dans une lettre au peintre Léopold Robert le 25 mars 1834 : « Il va entreprendre le Portrait de Mr Molé et je suis certain qu’à peine la toile sera sur le chevalet, il en aura regret. C’est toujours ainsi. Il a toujours le désir de tout et toujours regret de ce qu’il a accepté lorsqu’il se met à exécution ».

En effet, son indécision le forçait souvent à modifier la pose du modèle. Nous connaissons ainsi deux autres croquis dans lesquels le comte pose différemment.

Portrait du duc d’Orléans

Le second dessin, exécuté au crayon noir, estompe, rehauts de gouache blanche et quelques touches de lavis gris sur papier bleu passé, est un portrait du duc d’Orléans, Ferdinand-Philippe. Légèrement plus petit (39,5 sur 32 centimètres), il est également signé en bas à gauche au crayon noir « Ingres ».

Nous connaissons plus d’une dizaine de dessins préparatoires au portrait du duc d’Orléans mais celui-ci, au visage particulièrement soigné, correspond à la dernière étape avant le tableau.

Ferdinand-Philippe d’Orléans avait été initié au dessin par Newton Fielding et Ary Scheffer. Amateur d’art éclairé, il admirait Delacroix – dont il possédait Hamlet et Horatio au cimetière, L’assassinat de l’évêque de Liège et Le Prisonnier de Chillon – et Ingres qu’il n’hésite pas à féliciter chaleureusement pour la peinture qu’il avait commandée, Antiochus et Stratonice : « Je n’ai pas voulu attendre jusqu’au moment où vous reviendrez jouir ici d’un succès aussi bien mérité (Ingres est encore à Rome), pour vous exprimer mon admiration pour une œuvre aussi complète, et ma joie d’avoir sous les yeux un tableau dont l’Ecole française s’enorgueillit à si juste titre. »

Après avoir admiré le portrait du comte Molé, le duc d’Orléans n’hésite pas à commander, à son tour, un portrait. Dans une lettre à son ami Marcotte, Ingres explique qu’il ne pouvait refuser de peindre un nouveau portrait pour « ce prince, pour [lui] si aimable mécène et auquel [il] ne [pourrait] jamais rien refuser ».

Portrait aux trois-quarts de Ferdinand, duc d'Orléans, 1841. © Roquigny / Studio Sebert
Portrait aux trois-quarts de Ferdinand, duc d’Orléans, 1841. © Roquigny / Studio Sebert

Malheureusement, le 13 juillet 1842, quelques semaines après la livraison du tableau, l’hériter du trône est victime d’un accident de cheval sur la route de Neuilly. Ingres est bouleversé et écrit dans une lettre à son ami Jean-François Gilibert : « Ma juste douleur ne peut rien ajouter au tableau déchirant […] des Douleurs profondes de cette vertueuse et admirable famille et de toute ma propre douleur à moi, qui avait éprouvé mieux que tout autre peut-être ce que valait ce cœur bon, tendre et généreux […]. Une seule chose me console c’est d’avoir été assez heureux pour en avoir tracé les traits, mais combien j’aurais voulu faire mieux encore ».

Alors qu’on envisage de construire une chapelle commémorative sur les lieux du drame, le roi Louis-Philippe précise : « il n’y a que M. Ingres qui doit faire ce travail, il était l’ami de mon fils et mon fils l’aimait beaucoup ».

Provenance

Les deux dessins qui seront proposés le 1er janvier proviennent par descendance d’Adolphe Asseline, représentant d’une lignée au service de la famille d’Orléans depuis la seconde partie du XVIIe siècle. Son père Jean-François Asseline (1767-1832) avait commencé sa carrière comme Secrétaire du duc d’Orléans (1767-1832), dit Philippe-Egalité. Son grand-oncle, Jean-René Asseline (1742- 1813) devint sous la Révolution évêque de Boulogne (1790). Confesseur de Robespierre avant la Révolution, il deviendra celui de la famille royale en exil jusqu’à sa mort.

Asseline avait des rapports épistoliers fréquents avec Ingres en tant que Secrétaire du duc d’Orléans, le tenant au courant des compliments et de l’estime du prince. Il dût probablement entrer en possession de ces deux dessins soit par le biais de la famille d’Orléans soit directement auprès de l’artiste.

Accompagnés de leur certificat de libre circulation, ces dessins inédits sont estimés chacun 200 000 – 300 000 € et seront mis en vente dès mardi.

Mise à jour : Remporté par un acheteur américain, le dessin représentant le comte Mathieu Molé a été adjugé 1 089 000 euros*. Le second dessin, représentant le duc d’Orléans, a été remporté par un acheteur chinois pour 450 000 euros*. (* avec frais).


J. M. Sultan
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