Godfrey Kneller (1646–1723), Portrait de John Locke, musée de l'Ermitage.

5 questions à Jonathan Craig Walmsley sur la découverte d’un manuscrit inédit de John Locke

Un texte encore inédit du philosophe anglais John Locke a récemment été découvert dans les archives du Saint John’s College d’Annapolis (Maryland).

Intitulé « Raisons pour tolérer les papistes à égalité avec les autres », ce manuscrit de l’un des théoriciens du concept de l’état de droit est considéré comme « l’origine et le catalyseur des idées capitales et fondamentales de la démocratie libérale occidentale ».

L’auteur de la découverte, le chercheur indépendant Jonathan Craig Walmsley, nous en apprend plus sur l’origine de ce manuscrit et l’importance de son contenu.

Passéisme : Les réactions enthousiastes ont été nombreuses suite à votre découverte. Avant d’entrer dans les détails, pouvez-vous nous rappeler la position de John Locke sur la tolérance religieuse ?

Jonathan Craig Walmsley : L’argument de Locke est essentiellement fondé sur le fait que l’Église et l’État sont différents types d’organisations ayant différentes fonctions et différentes juridictions.

Les États ont été créés par nécessité pour protéger les personnes contre les dangers résultant de l’absence de gouvernement – c’est-à-dire le vol et la violence – les États étaient là pour protéger la vie, la liberté et la propriété des personnes.

Les églises étaient des organisations bénévoles où les gens se réunissaient pour déterminer la meilleure façon d’adorer Dieu et de sauver leurs âmes dans l’éternité après la mort.

L’État ne devrait pas s’immiscer dans les affaires religieuses car les gens ne peuvent pas céder le contrôle de leur âme éternelle à l’État, car Dieu n’a pas nommé le dirigeant ; la force ne peut que contraindre l’obéissance et non la croyance ; et même si la coercition devait être efficace, ce n’est pas une garantie de salut, car le dirigeant d’un État pourrait tout simplement se tromper sur ce qui est requis.

Ainsi, l’Église et l’État sont séparés et aucun ne devrait s’immiscer dans les préoccupations de l’autre – c’est-à-dire que les gens devraient être libres de vouer à un culte à ce qu’ils veulent.

Le manuscrit que vous avez trouvé s’intitule « Raisons pour tolérer les papistes à égalité avec les autres ». Qui étaient les papistes et comment étaient-ils considérés dans les années 1660 ?

Le terme « papistes » désigne ici uniquement les catholiques – il y avait une énorme tension religieuse après la Réforme, et particulièrement en Angleterre où le roi s’était séparé du pape et avait créé l’église anglicane ; événement suivi par des années de persécution religieuse.

Depuis que le pape a revendiqué la souveraineté universelle et a pu accorder l’absolution à ceux qui rompent la foi avec les hérétiques, certains craignaient que les catholiques soient des citoyens fondamentalement peu fiables.

Le manuscrit retrouvé « Raisons pour tolérer les papistes à égalité avec les autres ». Photo : © St John’s College, Annapolis

Ce texte retrouvé éclaire de manière significative l’histoire de la composition de l’essai de Locke sur la tolérance, également rédigé en 1667/1668. Les idées du philosophe ont-elles évolué jusqu’à la célèbre Lettre sur la tolérance, publiée 22 ans plus tard ?

Les arguments sont globalement les mêmes – bien que la lettre soit peut-être plus circonspecte.

Bien que l’essai de 1667/1668 refuse explicitement la tolérance aux catholiques, la lettre n’est pas aussi directe et l’on peut dire que Locke affirme que nous ne devrions tolérer aucune personne qui pourrait prêter allégeance à un prince étranger.

Mais comme les catholiques étaient les principaux candidats pour ce type de personnes, il est clair qu’il pense à eux lorsque de tels arguments sont présentés.

Vous mentionnez dans votre communication1 l’éventuelle influence de Sir Charles Wolseley sur Locke. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet auteur et, plus particulièrement, son écrit sur la Liberté de conscience ?

Wolseley était un ancien député (1653-1660) et cromwellien2, devenu conspirateur royaliste, qui n’avait rien publié avant 1667 et qui s’était apparemment retiré de la vie publique dès 1662.

Il avait servi avec Anthony Ashley Cooper (parrain de Locke) au Parlement de Barebone3 et au conseil d’État de Cromwell, et il a été qualifié de « protégé intellectuel » d’Ashley. Cependant, la preuve de leur connexion après 1660 est limitée.

Dans son pamphlet Liberté de conscience, l’intérêt des magistrats, Wolseley a plaidé pour une tolérance fondée sur « l’intérêt » civil. Il a estimé que nous devrions considérer les dissidents comme des sujets loyaux dont la présence dans un royaume pourrait accroître ses avantages militaires, politiques et commerciaux. Coercer la conscience de ces dissidents était une forme de « viol spirituel », qui priverait l’état de soldats, de responsables et de marchands talentueux.

De quels éléments disposez-vous sur le parcours du manuscrit avant sa redécouverte dans la bibliothèque Greenfield du Saint John’s College d’Annapolis ?

Le manuscrit a été vendu chez Sotheby’s en 1922 par E. C. A Sanford, un descendant de l’ami de Locke, Edward Clarke. Il a ensuite été acheté par les libraires Maggs Bros, qui l’ont vendu au romancier Paul Hyde Bonner (1893-1968), peu après 1928.

Sa collection a été vendue aux enchères en 1934 par Anderson Galleries à Manhattan et, de là, le manuscrit est entré en possession de « Henry MacDonald of New York », qui en a fait don à la bibliothèque du Saint John’s College, probablement à la fin de la deuxième moitié du XXe siècle.

Notes
  • Pour lire la communication, John Locke and the Toleration of Catholics: A New Manuscript.
  • Partisan d'Oliver Cromwell, personnalité militaire, politique et religieuse anglaise qui a dirigé la victoire des parlementaires dans la guerre civile anglaise (1642-1649) qui a mené à l'exécution de Charles Ier.
  • Le Parlement des ossements, parlement dont les membres ont été désignés sous Oliver Cromwell.
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J. M. Sultan
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