Scénographie de l'exposition Hebrew Manuscripts: Journeys of the Written Word organisée à la British Library. © David Jensen.

À la découverte des exceptionnels manuscrits hébreux de la British Library avec Ilana Tahan

Une exposition de la British Library dévoile des trésors manuscrits rarement présentés au public et dont certains datent du Xe siècle. Jusqu’au 11 avril, celle-ci vise à mettre en valeur l’interaction entre les communautés juives de la diaspora et leurs voisins non-juifs.

Les manuscrits hébreux de la bibliothèque nationale du Royaume-Uni – qui a été constituée au cours des 250 dernières années – a été récemment numérisée. Et, à l’occasion de l’organisation de l’exposition Hebrew Manuscripts: Journeys of the Written Word, le Dr. Ilana Tahan, officier de l’Empire britannique et commissaire d’exposition, nous en dit plus sur son organisation et ce qui distingue ces manuscrits.

Passéisme : Avant de nous donner des détails sur votre récente exposition, pouvez-vous nous parler brièvement de la riche collection de manuscrits hébreux conservés à la British Library ?

Ilana Tahan : La collection de manuscrits hébreux de la British Library est une ressource scientifique précieuse et inégalée de renommée internationale, couvrant plus de 1 000 ans et une vaste étendue géographique. Son contenu est riche et diversifié, englobant toutes les facettes de la littérature hébraïque et de l’apprentissage juif.

Nous détenons environ 3 000 volumes manuscrits, principalement en hébreu et dans diverses langues juives diasporiques qui utilisent l’écriture hébraïque (par exemple, le judéo-arabe, le judéo-italien, le judéo-persan, le judéo-espagnol, le yiddish et autres). Aussi, l’institution conserve environ 7 000 fragments de manuscrits provenant principalement de la Genizah1 du Caire.

Un livre de sorts contenant 120 recettes magiques et médicales, Ancône 1535-1536. © British Library Board.

Cette exposition explore les interactions et les influences entre le peuple juif et ses voisins dans les communautés à travers l’Europe, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et la Chine. Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce thème et ce qui vous a poussé à monter cette exposition ?

Hebrew Manuscripts donne un aperçu de la gamme et de la richesse des manuscrits en hébreu de la collection de la British Library et révèle le pouvoir des écrits pour rassembler les peuples. L’un des thèmes clés de cette exposition est l’importance de la culture écrite en tant que lien reliant les communautés juives de la diaspora à travers le monde. Un message tout aussi puissant émergeant de l’événement est le voyage ininterrompu de l’écriture hébraïque, l’un des systèmes d’écriture les plus anciens qui a été en utilisation continue depuis le Xe siècle avant notre ère jusqu’à ce jour.

L’exposition célèbre également l’achèvement du projet de numérisation des manuscrits hébreux. Le principal objectif de cette initiative à grande échelle, qui a duré plus de 6 ans, a été de fournir un accès en ligne gratuit aux manuscrits hébreux de la collection de la Bibliothèque, grâce à la conservation et à l’imagerie des manuscrits, à la création de catalogues et à leur présentation en ligne2.

La scénographie montre la vaste étendue des thèmes abordés : de la censure à la science, sans oublier la magie. Quels ont été vos critères de sélection pour les documents exposés ?

L’exposition présente 43 objets exceptionnels, dont 39 manuscrits, un instantané de la collection remarquablement riche de la British Library. Cette sélection d’une simple fraction d’objets parmi une collection aussi vaste a été, en effet, une tâche extrêmement difficile.

Scénographie de l’exposition Hebrew Manuscripts: Journeys of the Written Word organisée à la British Library. © David Jensen.

En déterminant dès les premières étapes de la planification la gamme des thèmes que l’exposition devait couvrir, la sélection des objets est devenue moins intimidante. Par exemple, il a été décidé dès le départ que l’exposition ne se concentrerait pas sur les œuvres sacrées, mais sa première section contiendrait des exemples des principaux textes religieux du judaïsme. Il était impératif de mettre en valeur la culture, l’histoire et les traditions séculaires du peuple juif à travers à la fois des manuscrits emblématiques que le public s’attendait à voir et des objets qui n’avaient jamais été exposés au public.

Le visiteur se lance ainsi dans un voyage de découverte à travers quatre sections distinctes : The Bible and beyond / Living together / The Power of letters and words / Science and Scholarship3.

Vous présentez également des lettres extremement rares comme celle d’un rabbin italien destinée au roi Henri VIII sur la validité de son mariage avec Catherine d’Aragon. Quel est le contexte de ce document fascinant ?

Lorsque le roi Henri VIII d’Angleterre souhaitait annuler son mariage avec Catherine d’Aragon pour des raisons religieuses, ses conseillers consultèrent des savants juifs. Or, les Juifs ayant été expulsés d’Angleterre en 1290, ils décident de se tourner vers les rabbins italiens.

Catherine d’Aragon a épousé Henry VIII en 1509, après le décès de son frère Arthur. Mais la loi juive du lévirat4 (Deutéronome 25:5-6) a été appliquée à ce moment-là, afin de justifier ce mariage politiquement opportun. La loi juive a de nouveau été utilisée des années plus tard pour tenter de justifier leur divorce. Les conseillers du roi pensaient qu’il pouvait y avoir une faille biblique en raison de l’interdiction d’épouser sa belle-sœur (Lévitique 18:16, 20:21), un péché passible d’infécondité.

Réponse du rabbin Jacob Rafael de Modène sur la loi du lévirat. © British Library (Arundel MS 151).

Cela se reflète-t-il dans la situation même du roi ? Au cours de leur mariage qui a duré 24 ans (1509-1533), Catherine d’Aragon n’a pas enfanté l’héritier masculin tant souhaité mais seulement une fille. Le roi a alors décidé d’envoyer une délégation en Italie, pour discuter de cette éventuelle faille avec des juifs érudits.

La lettre autographe5 que nous présentons est la réponse du rabbin Jacob Rafael de Modène à cette question sur la loi du lévirat. Il s’agissait de savoir si cette loi spécifiée dans Deutéronome 25:5-6 limitait l’interdiction dans Lévitique 18:16 et 20:21 ou non. La réponse du rabbin indique que la loi du lévirat avait préséance sur l’interdiction et que, par conséquent, le mariage du roi Henri VIII avec Catherine d’Aragon était valide et ne pouvait être annulé pour ces motifs.

Enfin, nous terminerons sur la question que nous réservons habituellement à nos invités : pouvez-vous partager avec nos lecteurs une lettre, provenant de cette exposition, qui vous touche particulièrement ?

Je dirais qu’il s’agit de la réponse de Moïse Maïmonide – connu dans le monde juif sous le nom de Rambam – à une question juridique qui lui a été adressée par un enseignant. La réponse6 se termine par la formule signature de Maïmonide, Ve-katav Mosheh (et ainsi l’a écrit Moïse).

Je suis ravie et profondément émue à chaque fois que je consulte ce document d’apparence modeste mais remarquablement significatif sur lequel repose l’écriture de l’un des plus grands esprits juifs qui ait jamais vécu.

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Dr. Ilana Tahan
Le Dr. Ilana Tahan a rejoint la British Library en tant que conservatrice en 1989. En 2002, elle devient chef de la section hébraïque, en charge de l’une des plus belles collections hébraïques du Royaume-Uni. Depuis 2010, elle est conservatrice principale des études hébraïques et chrétiennes orientales. En 2009, Ilana Tahan a reçu l’Ordre de l’Empire britannique.

Hebrew Manuscripts: Journeys of the Written Word
À travers des trésors rarement vus depuis le Xe siècle, cette exposition vous emmène en Europe et en Afrique du Nord, jusqu’au Moyen-Orient et en Chine pour explorer les relations entre les Juifs et leurs voisins dans les communautés où ils vivaient. Bien que fermée au public suite aux mesures sanitaires, la British Library a mis en place une exposition virtuelle, disponible en ligne pour les visiteurs du monde entier.

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Notes
  • La Gueniza du Caire est un dépôt d'environ 200 000 manuscrits juifs datant de 870 à 1880. Il s'agit d'un dépôt d'archives sacrées provenant de la synagogue Ben Ezra du Caire, en Égypte.
  • Ces documents numériques peuvent être consultés sur la plateforme des manuscrits numérisés de la Bibliothèque : http://www.bl.uk/manuscripts/.
  • En français : La Bible et au-delà / Vivre ensemble / Le pouvoir des lettres et des mots / La science et l'érudition.
  • Le lévirat est un loi hébraïque qui oblige le beau-frère à épouser la veuve de son frère mort sans enfant afin de perpétuer le nom de ce dernier.
  • Cette lettre est également numérisée et accessible sur la plateforme de la British Library.
  • Un article sur le blog de la British Library est consacré à ce document.
Liens

J. M. Sultan
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