Grand rouleau d'Isaïe, le mieux conservé des rouleaux bibliques trouvés à Qumran. Il contient l'intégralité du livre d'Isaïe en hébreu, à l'exception de quelques petites parties endommagées. Celui-ci, authentique, est conservé au Musée d'Israël.

Au Musée de la Bible de Washington, les fragments des manuscrits de la mer Morte se révèlent faux

Véritable coup de tonnerre pour les conservateurs du célèbre musée : une longue enquête a révélé qu’aucun des fragments des manuscrits de la mer Morte conservés au Musée de la Bible n’était authentique.

« Notre travail en tant que musée est d’aider le public à comprendre, et cela fait maintenant partie de l’histoire des manuscrits de la mer Morte, pour le meilleur ou pour le pire. »

C’est ainsi que le Musée de la Bible a annoncé sur son compte Twitter l’infortunée découverte.

Des manuscrits rarissimes

Les manuscrits de la mer Morte, également connus sous le nom de « parchemins des grottes de Qumrân », sont d’anciens manuscrits religieux découverts entre 1947 et 1956 dans onze grottes dans et autour de Qumrân, dans le désert de Judée, sur la rive nord de la mer Morte.

Nous sommes en 1947 lorsqu’un berger de la tribu Ta’amireh quitte son troupeau de moutons et de chèvres à la recherche d’un animal fugitif. Au milieu des falaises, autour du site de Qumrân, il découvre une grotte dans la crevasse d’une colline rocheuse. Il ne le sait pas encore mais il vient de tomber sur la plus grande découverte du siècle.

En entrant dans la grotte, le jeune Bédouin trouve une mystérieuse collection de grandes jarres d’argile. La majorité était vide et, en examinant les quelques autres, il constate que les bocaux sont intacts, avec les couvercles toujours scellés. Cependant, là où le berger s’attendait à trouver de l’or ou des pièces antiques, un examen plus attentif ne révèle que des vieux rouleaux, certains enveloppés de lin et noircis par le temps.

Les chevriers bédouins Jum’a et Mohammed ed-Dib ont affirmé avoir découvert les premiers manuscrits de la mer Morte. Photographie © John C. Trever.

Avec plusieurs compagnons, ils apportent les rouleaux à Kando – de son vrai nom Khalil Iskandar Shahin -, un célèbre marchand d’antiquités de Bethléem. Intrigué par les découvertes, Kando a renvoyé les Bédouins dans les grottes à la recherche de nouveaux trésors. Ces derniers reviennent alors avec un total de sept parchemins. Ne connaissant évidemment pas leur véritable valeur, les Bédouins ont vendu quatre des sept rouleaux à Kando et trois à un deuxième marchand d’antiquités nommé Salahi. Kando a ensuite revendu les quatre rouleaux à l’archevêque Samuel, chef du monastère syrien orthodoxe de Saint-Marc à Jérusalem (voir Dates clés).

D’après les spécialistes, ces parchemins auraient une datation comprise entre les trois derniers siècles avant notre ère et le premier siècle de notre ère. Les textes ont une grande signification historique, religieuse et linguistique car ils contiennent les plus anciens manuscrits inclus dans le canon de la Bible hébraïque, ainsi que des manuscrits deutérocanoniques et extra-bibliques qui démontrent la diversité de la pensée religieuse à la fin du Second Temple de Jérusalem.

Qumrân : une des grottes dans lesquelles les manuscrits ont été trouvés. Photographie © Effi Schweizer.

La grande majorité de ces manuscrits de la mer Morte sont actuellement dans la collection du Musée d’Israël où ils sont conservés dans le Sanctuaire du Livre, une aile du musée construite spécialement pour leur préservation.

Toutefois, ces manuscrits, considérés comme parmi les plus précieux au monde, sont ardemment désirés par les collectionneurs les plus influents. Si de minuscules fragments authentiques – pas plus large qu’une pièce de monnaie – sont en mains privés, les experts se posent des questions quant à l’authenticité d’une collection de fragments apparue sur le marché de l’art en 2002.

Steve Green et les fragments du Musée de la Bible

Steve Green est un entrepreneur américain, président de la chaîne de magasins Hobby Lobby, ainsi que fondateur du Musée de la Bible, ouvert à Washington D.C en 2017 pour un coût avoisinant les 500 millions de dollars.

Avant cela, la famille Green a collecté environ 40 000 artefacts d’une valeur de plus de 205 millions de dollars. Mais, au début des années 2000, un étrange ensemble de fragments à la provenance douteuse apparaît sur le marché de l’art. Seize de ces fragments sont achetés par l’homme d’affaire qui s’empresse ensuite de les donner au Musée de la Bible dès son ouverture.

Le quatrième étage du Musée de la Bible de Washington. Photographie © Fishermade.

Seulement, en 2018, le Musée a déjà reconnu que cinq de ces manuscrits étaient faux. Et, après l’envoi des fragments restants, le Musée a dévoilé qu’aucun n’était authentique.

Le magazine National Geographic, qui a couvert l’ensemble de cette affaire, conclut :

« Les 16 fragments du rouleau de la mer Morte du musée sont des contrefaçons modernes qui ont trompé des collectionneurs extérieurs, le fondateur du musée et certains des plus grands spécialistes bibliques du monde. »

Malgré tout, « le Musée de la Bible essaie d’être aussi transparent que possible », assure le directeur du musée Harry Hargrave. « Nous sommes victimes – nous sommes victimes de fausses déclarations, nous sommes victimes de fraude. »

Les résultats de l’analyse

Après que les premiers fragments ont été jugés frauduleux, le musée a engagé une société spécialisée dans l’enquête de contrefaçon dans le domaine de l’art. Cette entreprise, Art Fraud Insights, s’engage à sensibiliser le public sur les thèmes de la contrefaçon d’art, des délits liés au patrimoine culturel et du rôle émergent de la science dans le processus d’authentification.

Dans un rapport de plus de 200 pages (disponible dans son intégralité à la fin de cet article), une équipe de chercheurs dirigée par l’expert des fraudes artistiques Colette Loll a découvert que, même si les fragments sont probablement en cuir ancien, elles ont été encrées à l’époque moderne et modifiées pour ressembler à de vrais manuscrits de la mer Morte. « Ces fragments ont été manipulés dans l’intention de tromper », explique-t-elle.

Fragments de la Mer Morte conservés à la Bibliothèque nationale de France (détail) (Département des Manuscrits. Hébreu 1427)

Il s’agit donc du matériau qui a alerté les spécialistes. L’équipe de recherche a conclu que les fragments étaient apparemment faits du mauvais matériau. En effet, presque tous les fragments authentiques des manuscrits de la mer Morte sont faits de parchemin tanné ou légèrement tanné, mais au moins 15 des fragments du Musée de la Bible étaient en cuir, qui est plus épais, plus bosselé et plus fibreux.

Malgré cette découverte, Colette Loll tenait à souligner et féliciter les responsables du Musée pour leur transparence sur les fragments non authentiques : « Habituellement, les objets qui sont déterminés comme étant faux sont discrètement retirés de l’exposition et transférés dans une prétendue « collection d’étude ».

Le Musée de la Bible a choisi d’être aussi transparent que possible avec sa collection de manuscrits de la mer Morte – des étiquettes provisoires de la galerie à l’annonce publique des résultats de la recherche et la publication ultérieure de tous les documents de recherche associés. Les données peuvent maintenant être utilisées pour comparaison avec d’autres fragments. C’est une contribution énorme », a-t-elle déclaré.

Ces nouvelles découvertes ne mettent pas en doute les 100 000 fragments de manuscrits de la mer Morte, dont la plupart se trouvent dans le Sanctuaire du Livre. Cependant, les conclusions du rapport soulèvent de sérieuses questions sur l’ensemble des fragments « post-2002 ». En effet, bien avant ce rapport, certains experts pensaient déjà que la plupart étaient des faux modernes.

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J. M. Sultan
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