Peinture : Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Lamartine refusant le drapeau rouge devant l'Hôtel de Ville, Petit Palais (PDUT1468). Document : Acte d'abdication de Louis-Philippe Ier (3ème copie), © Ruellan Auction.

Focus sur la révolution de 1848 et l’acte d’abdication de Louis-Philippe Ier

3 jours. C’est le temps qu’il a fallu à la révolution de 1848 pour renverser un règne de 18 ans. Le 24 février 1848, le roi Louis-Philippe signait un ultime acte… celui de son abdication. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il existe trois exemplaires de ce document.

La troisième révolution

Malgré les grandes avancées qui résultent de la révolution de Juillet 18301, les inégalités et les conditions d’existence des français restent difficiles : disette (1830), épidémie de choléra (1832-1835), crise religieuse (saccage de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois en 1832), limitation des réformes électorales (1840-1842) et crise financière (scandale Teste-Cubières en 1847) vont achever le régime en place.

C’est cette succession d’évènements et, plus particulièrement le désir de reformes sociales, qui favorisa ce que l’on appelait la « campagne des banquets »2, une série de 70 réunions organisées entre 1847 et 1848 par les radicaux et chefs de l’opposition (Adolphe Thiers, Prosper Duvergier de Hauranne, Odilon Barrot…) afin d’exprimer leur mécontentement face aux décisions prises par le gouvernement de François Guizot et ainsi obtenir la réforme électorale.

Jehan Georges Vibert, Portrait de François Guizot.

Bien qu’intègre et réellement impliqué, l’entêtement de Guizot donna une nouvelle impulsion à cette campagne et il ne réussit jamais à limiter les abus mis en place par son propre gouvernement. C’est d’ailleurs ce que retient de lui Victor Hugo dans Choses vues : « M. Guizot est personnellement incorruptible et il gouverne par la corruption. Il me fait l’effet d’une femme honnête qui tiendrait un bordel ».

Dans le même recueil, le poète nous apprend que Louis-Philippe ne prit pas conscience de la gravité des événements. Ainsi, le 19 février 1847, il rapporte une scène terrible de conséquence :

La semaine qui précéda la révolution, Jérôme Napoléon fit une visite aux Tuileries. Il témoigna au roi quelque inquiétude de l’agitation des esprits. Le roi sourit, et lui dit : — Mon prince, je ne crains rien.

Et il ajouta après un silence : — Je suis nécessaire.

Jérôme essaya encore quelques observations. Le roi l’écouta et reprit : — Votre Altesse a la première révolution trop présente à l’esprit. Les conditions sont changées. Alors le sol était miné. Il ne l’est plus.

Il était du reste fort gai. La reine, elle, était sérieuse et triste. Elle dit au prince Jérôme : — Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas tranquille. Cependant le roi sait ce qu’il fait.

Conscient tardivement de l’importance prise par ces rassemblements, les autorités décident alors d’interdire le banquet du 22 février 1848. Des protestations s’élèvent mais il est déjà trop tard lorsque les barricades sont hissées dans la capitale.

L’abdication

Le 23 février, la foule manifeste et c’est un événement inattendu qui va réellement mettre le feu aux poudres. En effet, sur un puissant malentendu, le 14e régiment d’infanterie de ligne se sent menacé par un manifestant armé d’une torche. On ouvre le feu et la soirée s’achève avec près de 50 personnes qui perdent la vie sur les pavés du boulevard des Capucines.

La manifestation s’est transformée en révolution.

Les barricades se font de plus en plus importantes, les armuriers sont dévalisés et, le lendemain matin, le roi ne peut plus rattraper la situation malgré une dernière tentative de remplacer son chef du gouvernement. « La défense est elle encore possible ? » demande-t-il. La question restera sans réponse tandis que le palais est assiégé par la foule et que l’astronome François Arago déclare « L’abdication avant midi… sinon la révolution ».

C’en est trop. La décision est prise face à la reine Marie-Amélie qui, dans une phrase restée célèbre, le supplie de ne pas « consommer une telle lâcheté ». Assis à son bureau, le roi s’apprête à écrire son acte d’abdication :

J’abdique cette couronne que la voix nationale m’avait appelée [sic] à porter, en faveur de mon petit fils le Comte de Paris. Puisse t’il [sic] réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd’hui

Louis Philippe
24 Fevr 1848

Rédigés en trois exemplaires de la main du roi, ces documents ont chacun une histoire particulière.

Première copie de l’acte d’abdication de Louis-Philipper Ier. Archives nationales (AE/I/21).
Deuxième copie de l’acte d’abdication de Louis-Philipper Ier. © SVV Coutau-Bégarie.
Troisième copie de l’acte d’abdication de Louis-Philipper Ier. © SVV Ruellan.

La première copie, nous apprend une note des Archives nationales, a été « [léguée] au pasteur Martin Paschoud. Celui-ci voulut la remettre au comte de Paris, mais le prince lui répondit que c’était un papier d’État. Sur le conseil de Jules Simon, Paschoud fit alors don du document aux Archives nationales le 26 septembre 1872 ». Le document est aujourd’hui conservé dans l’Armoire de fer (AE/I/21), tout comme l’acte d’abdication du 22 juin 1815, signé par Napoléon 33 ans plus tôt.

La deuxième a un parcours plus obscur mais l’on retrouve sa trace dans une prestigieuse vente aux enchères, celle de la collection du vicomte Alcide de Beauchesne, gentilhomme de la chambre du roi Louis XVIII et chef de section aux Archives nationales. Le 3 mars 2015, dans l’une des ventes consacrées à cette collection, l’acte fut adjugé 11 874 euros par l’étude Coutau-Bégarie.

Quant à la troisième copie, elle réapparaissait il y a seulement 4 jours dans une vente consacrée à la correspondance et aux archives d’Antony Thouret. Proche de Victor Hugo, Thouret était un important opposant républicain emprisonné à de nombreuses reprises sous la Monarchie de Juillet. L’acte en question était accompagné de trois notes qui décrivent le parcours incroyable de cette copie.

Dans une première note, rédigée par Alfred Maury, ancien directeur des Archives nationales, nous apprenons que cette copie a été récupérée par Charles Lagrange3 :

La pièce originale contenant l’abdication du Roi Louis-Philippe, fut confiée, presque immédiatement après qu’elle eut été écrite, au général de Lamoricière, qui sortit des Tuileries l’ayant à la main, avec l’intention de la porter à l’Hôtel de Ville. En traversant la place du Palais Royal, il agita ce papier dont il proclamait le contenu, invitant le rassemblement formé alors sur cette place à se disperser. L’un de ceux qui étaient à la tête l’émeute, Charles Lagrange, depuis représentant à l’Assemblée Constituante de 1848, s’élança à la tête du cheval du général, arracha l’acte d’abdication de ses mains, et aux cris de « Vive la République » poussa la foule à pénétrer dans les Tuileries. Peu d’instant après le Roi Louis-Philippe prenait la fuite.

La suite de cette note est ensuite contredite par deux lettres de Lagrange à Antony Thouret auquel il aurait confié l’acte sans jamais pouvoir le récupérer :

[…] Mets à la poste l’acte d’abdication à mon adresse – 2 rue Ribouté – assure la et fais qu’elle m’arrive franco – je n’ai pas le sou. Tu sais que je suis d’un N° où on donne tout au peuple, et où on ne prend rien. […]

Mon bon Antony, je t’ai écrit hier un mot dont j’ai peur que tu apprécies mal les termes. Je crains par suite de différents petits actes qu’il ne me convient pas de rendre publics, je crains que ta loyauté soit circonvenue et que tu aies pris, pour me retourner l’abdication que je t’ai confiée, toute autre voie que celle que je t’ai prié de suivre – la mettre à la poste (assurée) à mon adresse directement 2 rue Ribouté. Auquel cas il se pourrait que cette restitution essayée d’une autre manière manque tout son effet légitime, et arriva à une destination usurpatrice, ce qui te chagrinerait certainement. C’est pourquoi je te prie à nouveau de m’adresser la pièce […]

Jusqu’à l’organisation de cette vente, cette troisième copie resta dans la famille Thouret. Toutefois, elle ne sera pas vendue aux enchères. En effet, bien que l’étude Ruellan ait reçu en avril une confirmation de non revendication par le service interministériel des archives de France, une demande de revendication a tout de même été déposée le 13 octobre 2021. Ce sont donc deux exemplaires sur trois qui sont maintenant conservés dans les collections publiques.

Le roi déchu

Le souhait de Louis-Philippe en faveur de son petit-fils ne sera pas exaucé puisque Alphonse de Lamartine proclamera aussitôt la République ; un acte immortalisé par Félix Philippoteaux dans sa toile Lamartine devant l’Hôtel de Ville de Paris le 25 février 1848 refuse le drapeau rouge, reproduite en haut de cet article.

Franz Xaver Winterhalter, Louis-Philippe Ier, roi des Français, 1841.

La monarchie libérale laisse place à une éphémère Deuxième République. Celle-ci durera 4 ans, le temps que le président Louis-Napoléon Bonaparte décide de porter le nom de Napoléon III.

Quant à Louis-Philippe, c’est en exil que le roi déchu ne cessera de répéter : « Pire que Charles X, cent fois pire que Charles X… »

Notes
  • Cette révolution a notamment permis le changement de dynastie avec la mise en place d’une monarchie constitutionnelle libérale.
  • Le choix d'organiser des banquets était une idée qui permettait de contourner l'interdiction de réunions politiques.
  • Charles Lagrange (1804-1857) était un homme politique républicain qui prit part aux combats des Trois Glorieuses puis apparut comme l'un des chefs du soulèvement durant la révolution de 1848.

J. M. Sultan
J. M. Sultan
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