Portrait anonyme de Marie Stuart d'après Nicholas Hilliard, 1578. © National Portrait Gallery (NPG 429). Lettre de Marie Stuart à Henri III, 8 février 1587. © Bibliothèque nationale d’Écosse.

Focus sur le secret de la dernière lettre de Marie Stuart avant son exécution

Quelques heures avant sa mort, la reine Marie Stuart écrivait une émouvante lettre au roi de France et, grâce à une technique peu connue, elle s’est assurée que seul son destinataire puisse la lire.

Une reine déchue

La vie de Marie Stuart est un mélange vertigineux d’intrigue, de romance et de vengeance.

Couronnée régente des Écossais six jours après sa naissance, Marie Stuart est fiancée au prince Édouard, fils d’Henri VIII, alors qu’elle n’a que huit mois. L’objectif de cette union ? Calmer les rivalités entre l’Angleterre et l’Écosse. À l’âge de 6 ans, alors que les priorités changent, elle est à nouveau fiancée avec le dauphin français, le futur roi François II, afin de renouveler l’alliance traditionnelle entre les Écossais et les Français. Fiancée à 6 ans, mariée à 15, reine de France pendant un an… elle sera veuve à 17 ans.

François II et Marie Stuart. Enluminure tirée du Livre d’heures de Catherine de Medicis. © Bibliothèque nationale de France (NAL 83, folio 154 v.).

Après cette épreuve, elle retourne gouverner son pays d’origine et épouse, en 1565, son cousin Lord Darnley. Bien qu’orageux, ce mariage permettra la naissance d’un fils en 1566 – le futur Jacques VI et Ier1. À 21 ans, Lord Darnley sera assassiné dans des circonstances troubles sur lesquelles les historiens sont aujourd’hui encore partagés. Et, lorsque les deux principaux suspects – Marie Stuart et James Hepburn, le comte de Bothwell – se marient, le scandale éclate et force la reine à abdiquer le 24 juillet 1567.

Emprisonnée, elle parvient tout de même à s’évader et espère reprendre le pouvoir grâce à l’appui de sa cousine, Élisabeth Ire d’Angleterre. Mais la reine est bien consciente que les catholiques considèrent toujours Marie comme l’héritière légitime du trône d’Angleterre ; elle devient donc une menace sérieuse pour le royaume. Très vite, la reine Élisabeth Ire fait emprisonner Marie Stuart qui restera en captivité durant 18 ans jusqu’à son exécution2 le 8 février 1587 au château de Fotheringhay.

Le mystère de la dernière lettre

Dans sa cellule, quelques heures avant son exécution, Marie Stuart écrit en français une dernière lettre3, destinée au roi de France, Henri III :

La dernière lettre de Marie Stuart, reine d’Écosse, à Henri III, roi de France, 8 février 1587, page 1. © Bibliothèque nationale d’Écosse.
La dernière lettre de Marie Stuart, reine d’Écosse, à Henri III, roi de France, 8 février 1587, page 2. © Bibliothèque nationale d’Écosse.
La dernière lettre de Marie Stuart, reine d’Écosse, à Henri III, roi de France, 8 février 1587, page 3. © Bibliothèque nationale d’Écosse.
La dernière lettre de Marie Stuart, reine d’Écosse, à Henri III, roi de France, 8 février 1587, page 4. © Bibliothèque nationale d’Écosse.

Lettre de Marie Stuart d’Écosse à Henri III de France

2 pages, en ancien français.
Dans un souci de compréhension, le français a été modernisé.
 
Sire, mon beau-frère, s’étant par la volonté de Dieu, pour mes péchés je pense, jeté au pouvoir de la reine ma cousine, aux mains de laquelle j’ai beaucoup souffert depuis près de vingt ans, j’ai finalement été condamnée à mort par elle et ses États. J’ai demandé mes papiers, qu’ils m’ont enlevés, afin de faire mon testament, mais je n’ai pu rien récupérer qui me soit utile, ni même obtenir la permission soit de faire librement mon testament, soit d’avoir mon corps transporté après ma mort, comme je l’aurais voulu, dans votre royaume où j’ai eu l’honneur d’être reine, votre sœur et ancienne alliée.
 
Ce soir, après le dîner, j’ai été avisée de ma sentence : je dois être exécutée comme une criminelle à huit heures du matin. Je n’ai pas eu le temps de vous faire un récit complet de tout ce qui s’est passé, mais si vous écoutez mon médecin et mes autres malheureux serviteurs, vous apprendrez la vérité, et comment, par la grâce de Dieu, je méprise la mort et jure que je vais à sa rencontre innocente de tout crime, même si j’étais leur sujet. La foi catholique et l’affirmation de mon droit divin à la couronne anglaise sont les deux questions sur lesquelles je suis condamnée, et pourtant je n’ai pas le droit de dire que c’est pour la religion catholique que je meurs, mais par crainte d’ingérence avec les leurs. La preuve en est qu’ils ont enlevé mon aumônier, et bien qu’il soit dans le bâtiment, je n’ai pas pu obtenir la permission qu’il vienne entendre ma confession et me donner le dernier sacrement, alors qu’ils ont été très insistants que je reçoive la consolation et l’instruction de leur ministre, amené ici à cet effet.
 
Le porteur de cette lettre et ses compagnons, pour la plupart vos sujets, témoigneront de ma conduite à ma dernière heure. Il me reste à prier Votre Majesté Très Chrétienne, mon beau-frère et vieil allié, qui m’a toujours montré son amour, de faire maintenant preuve de sa bonté sur tous ces points : d’abord par la charité, en payant mes infortunés serviteurs le salaire qui leur est dû – c’est un fardeau sur ma conscience que vous seul pouvez soulager : de plus, en faisant offrir des prières à Dieu pour une reine qui a porté le titre de Très Chrétienne, et qui meurt catholique, dépouillée de tous ses biens. Quant à mon fils, je vous le recommande autant qu’il le mérite, car je ne puis répondre de lui. Je me suis permis de vous envoyer deux pierres précieuses, talismans contre la maladie, confiante que vous jouirez d’une bonne santé et d’une vie longue et heureuse. Acceptez-les de votre belle-sœur aimante, qui, en mourant, témoigne de sa tendresse pour vous. Je vous recommande à nouveau mes serviteurs.
 
Donnez des instructions, s’il vous plaît, que pour l’amour de mon âme une partie de ce que vous me devez soit payée, et pour l’amour de Jésus-Christ, que je prierai pour vous demain en mourant, il me reste assez pour fonder une messe commémorative et faire l’aumône d’usage.
 
Ce mercredi, deux heures après minuit.
Votre très aimante et très vraie sœur, Mary R
 
Au Roi Très Chrétien, mon beau-frère et vieil allié

Apparemment calme, malgré la sentence, Marie Stuart réaffirme sa foi catholique, ainsi que sa conviction que le royaume d’Angleterre lui appartient de droit. Nous avions mentionné un mystère et l’on peut s’empêcher de constater que le contenu de cette lettre est clair et non crypté. Car le véritable mystère ne réside pas dans son contenu mais dans la façon dont la lettre a été scellée.

En effet, Marie Stuart redoutait que la missive soit lue et interceptée et, bien que la cire à cacheter avait été inventée il y a des années de cela, cette méthode n’était pas assez sécurisée. Une autre méthode existait et celle-ci porte le nom anglais de letterlocking (un néologisme qui peut se traduire par « verrouillage de lettre »). Il s’agissait d’un système de protection d’une lettre sans utilisation d’enveloppe qui remonte au XIIIe siècle en Occident et qui implique un pliage et une découpe spécifique de la feuille. Les combinaisons possibles sont alors infinies et celle utilisée par Marie Stuart mérite de s’y attarder.

« L’un des exemples les plus spectaculaires de verrou en spirale est la dernière lettre de Marie Stuart », précisent les neuf experts du King’s College de Londres, du MIT et de Glasgow dans un article publié dans l’Electronic British Library Journal.

Reconstruction de la façon dont la dernière lettre de Marie Stuart a été scélée à l’aide du mécanisme de verrouillage en spirale. © Unlocking History Research Group Archive/MIT.

« Le contenu de la lettre est puissant et émouvant : écrite à la veille de son exécution, elle agit non seulement comme une lettre – un document destiné à être envoyé et lu par quelqu’un à distance – mais aussi comme ses dernières volontés et testament, et une tentative de la faire déclarer martyre. […] On dit parfois que l’écriture de la lettre était le dernier acte de Marie ; en fait, après l’avoir écrite, la lettre devait être pliée et sécurisée. »

En effet, imaginons un instant la reine déchue, à 2 heures du matin – six heures avant son exécution -, se consacrer minutieusement à la formation d’un verrou en spirale ; une technique qui nécessite plus de 30 étapes !

Reconstitution du verrou à spirale formé par Marie Stuart pour sa dernière lettre.

Toujours selon les chercheurs, il s’agit « d’une technique très complexe qui demandait du temps, de la patience et une grande habileté : un faux mouvement et votre mécanisme de verrouillage pourrait casser et il faudrait recommencer la lettre entièrement. La mécanique de ce verrou oblige la personne qui ouvre la lettre à la casser afin d’accéder au contenu. »

À l’ouverture, il était donc impossible de refermer la lettre et le destinataire savait immédiatement si cette missive avait été interceptée.

Notes
  • Jacques Stuart était roi d'Écosse sous le nom de Jacques VI et roi d'Angleterre et d'Irlande sous le nom de Jacques Ier.
  • La raison officielle est la participation de Marie Stuart à un complot visant à tuer Élisabeth Ire et récupérer le trône d'Angleterre.
  • Cette lettre fait aujourd'hui partie des collections de manuscrits de la bibliothèque nationale d'Écosse (Adv.MS.54.1.1).
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J. M. Sultan
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