Elisabeth Louise Vigée-LeBrun - Reine Marie-Antoinette assise, en manteau bleu et robe blanche, tenant un livre à la main, 1788. Château de Versailles (L 3591). Lettre de Marie-Antoinette à Axel de Fersen, 4 janvier 1792. Archives Nationales.

La science dévoile les secrets des lettres d’amour censurées de Marie-Antoinette

La correspondance de la reine Marie-Antoinette et du comte Axel de Fersen attire de nouveau l’attention après que des scientifiques aient réussi, à l’aide d’une nouvelle méthode, à dévoiler des passages inédits, censurés de leur correspondance.

Une nouvelle méthode scientifique

Nous le savons depuis plus d’un an. En juin 2020, les Archives Nationales avaient annoncé qu’une étude par « spectroscopie de fluorescence des rayons X (XRF) » avaient permis de lire des passages censurés des lettres de Marie-Antoinette.

Mais ce n’est que cette semaine que nous obtenons, grâce à la publication de l’étude scientifique dans la revue Science Advances, les détails scientifiques à l’origine de la découverte. Les chercheurs précisent même que « la transcription de la totalité des paragraphes qui ont pu être divulgués sous les caviardages est en cours, supervisée par des curateurs et des historiens. Ce sera le sujet d’une autre publication. »

Ces derniers insistent aussi sur un point particulier : la transcription de ces passages est sujette à interprétation.

Résultats de l’analyse qui révèle ici les mots : « non pas sans vous. » © CRC.

« Pas sans vous. », « Mon cher ami. », « vous que j’aime et aimeroi jusqu’a… »

Rédigés par la reine de France, ce sont ces mots étonnants et pleins de sens qui ont été dévoilés par cette analyse. Mais sont-ils plus qu’une grande expression d’affection ?

Alors que la reine choisit de détruire les lettres reçues du comte, celui-ci préféra de les conserver. C’est sa famille qui reçut ensuite cette correspondance jusqu’en 1982, date à laquelle les lettres ont été achetées par les Archives Nationales.

Ce qui est sûr, c’est que ces mots ne devaient pas être lus. En effet, les passages les plus ambigus ont été largement raturés à l’encre noire. Illisibles donc… jusqu’à l’utilisation d’une nouvelle méthode scientifique impliquant l’usage de rayons X.

Pour les déchiffrer, un trio de chercheurs français – Anne Michelin, Fabien Pottier et Christine Andraud – a mis au point une nouvelle méthode qui consiste à séparer la composition chimique des différentes encres utilisées sur les documents manuscrits. Ils ont testé leur méthode en analysant la correspondance entre la reine et le comte, conservée aux Archives Nationales.

Résultats de l’analyse qui révèle ici les mots : « vous que j’aime et aimeroi jusqu’a mon. » © CRC.

Dans huit des quinze lettres analysées, il y avait suffisamment de différences dans la composition chimique des encres – la proportion de fer, de cuivre et d’autres éléments – pour qu’ils puissent cartographier chaque couche séparément et ainsi récupérer le texte original.

« C’est incroyable. Cette technique pourrait également aider les historiens à déchiffrer des phrases et des passages de la correspondance diplomatique, de la correspondance politique sensible et d’autres textes qui ont échappé à l’analyse historique », a déclaré Ronald Schechter, historien spécialiste de la bibliothèque de Marie-Antoinette.

Scanner à fluorescence X Bruker M6 Jetstream analysant une lettre de Marie-Antoinette à Axel de Fersen, rédigée le 25 octobre 1791. © CRC.

Le point le plus important, révélé par cette nouvelle étude est l’identification de la personne à l’origine de cette censure : le comte de Fersen lui-même.

Selon les trois chercheurs, le comte « [aurait] décidé de garder ses lettres secrètes plutôt que de les détruire, mais en censurant certains passages, ce qui indique qu’il voulait protéger l’honneur de la reine (ou peut-être aussi ses propres intérêts). »

Une liaison platonique ?

Marie-Antoinette et le comte suédois Axel de Fersen se rencontrent à l’âge de 18 ans – ils sont nés la même année – lorsque ce dernier rejoint la cour de France en 1774. Proche de la reine, il maintiendra ce contact épistolaire jusqu’à sa mort.

Le comte sera d’ailleurs l’un des organisateurs de la fuite manquée des 20 et 21 juin 1791 ; fuite qui scellera le destin tragique que l’on connaît. Marie-Antoinette sera guillotinée le 16 octobre 1793 sur la place de la Révolution – l’actuelle place de la Concorde. Quant au comte, il sera massacré lors d’une émeute par la foule à Stockholm, le 20 juin 1810. Une date funeste qui coïncide étonnement avec celle de la fuite de Varennes.

Carl Frederik von Breda – Portrait d’Axel de Fersen, vers 1800. Château de Löfstad.

Aujourd’hui, les historiens débattent encore sur l’origine de leur relation. Pour certains, il n’y a aucun doute. « C’est toujours très intéressant de comprendre ces pensées qu’une personne considère comme vraiment intimes et décide de cacher. Nous savons ce qui est vraiment intime et ce qui est une information publique. […] À cette époque, les gens utilisaient un langage fleuri – mais ici, c’est un langage vraiment fort, vraiment intime. On sait qu’avec ce texte, il y a une relation amoureuse », a déclaré Anne Michelin, chercheur en conservation au Muséum national d’Histoire naturelle, co-auteur de cette nouvelle étude.

En effet, l’écriture censurée montrait des témoignages émotionnels forts entre la reine de France et le comte suédois ; des mots comme « bien-aimé », « tendre ami », « adorer » et « follement ». Et, l’un des passages dévoilés en 2020 semblait lever le voile : « Je vais finir non sans vous dire, mon cher et bien tendre ami, que je vous aime à la folie et que jamais, jamais je ne peux être un moment sans vous adorer. »

Amants ou amis intimes, les passages qui seront dévoilés prochainement éclaireront peut-être cette question.

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J. M. Sultan
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