Usage du S long dans la Déclaration des droits des États-Unis (United States Bill of Rights).

Pourquoi la lettre « S » ressemble-t-elle à un « F » dans les anciens manuscrits ?

En consultant nos articles sur Passéisme ou nos nombreuses publications sur les réseaux sociaux, vous avez probablement rencontré cette étrange lettre qui se lit comme un « S » mais ressemble étonnement à la lettre « F ». Il s’agit du S long (ſ).

Pour le lecteur moderne, ce S long peut donner une étrange impression de faute d’orthographe lorsque le mot « réserver » s’écrit tout à coup « réſerver » ou encore lorsque le mot « sortirions » devient « ſortirionſ ».

Pourtant, à y regarder de plus près, le S long n’a pas de barre transversale comme la lettre F. Et, bien que la différence typographique entre le S long et la lettre F se distingue beaucoup plus facilement sur un imprimé que sur un manuscrit, il s’agit bien d’une forme ancienne de la lettre S minuscule.

Origines du S long (ſ)

Le S long est dérivé du S de la vieille cursive romaine, l’écriture employée quotidiennement dans la Rome antique, et ce, jusqu’au Haut Moyen Âge. Lorsque la distinction entre majuscules et minuscules a été établie, vers la fin du VIIIe siècle, la lettre minuscule a alors évolué vers une forme plus verticale. Cette forme apparaît ainsi dans la Séquence de sainte Eulalie, un poème liturgique composé vers 880, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque municipale de Valenciennes.

Extrait de la Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie, Bibliothèque municipale de Valenciennes, manuscrit carolingien n°150.

Au départ, aucune règle n’encadrait son usage et son tracé a beaucoup évolué. Au fil des siècles, certaines règles et usages apparaissent : Le S long n’était pas utilisé en fin de mot, bien que des exceptions archaïques existent. Le double S au milieu pouvait s’écrire avec un double S long, comme dans le mot « Buſſi ». De plus, il était préférable d’éviter l’emploi du S long avant la lettre F, tout comme le S rond était d’usage avant une apostrophe.

Différences entre le ſ et f

Nous l’avons vu, le S long est souvent confondu avec la minuscule f. La différence réside dans le nœud au centre de la lettre, présent seulement du côté gauche, dans divers caractères romains et en écriture gothique. Il n’y avait pas de nœud lorsque le S long était dans sa forme de type italique, ce qui donnait au trait descendant une courbe vers la gauche.

En caractères romains, à l’exception de la barre transversale des médians, toutes les autres barres transversales ont disparu. Le long S était utilisé dans les ligatures de différentes langues.

Il est aussi intéressant de noter que le sigma grec comporte un S médial (σ) et un S final (ς), ce qui peut expliquer l’utilisation contextuelle du S long dans l’Europe de la Renaissance, dans laquelle une fraction non négligeable de lettrés maîtrisaient le grec ancien.

Déclin du S long

Dans les correspondances, le S long se rencontrait encore quotidiennement au milieu du XIXe siècle. Pour les imprimés, cette forme est toujours présente dans les années 1790 sur les documents officiels – tels que les lettres patentes – mais des imprimeurs abandonnent progressivement les long caractères dès la fin du XVIIIe siècle. On remarque ainsi que l’usage du S long cesse dès la cinquième édition du dictionnaire de l’Académie française, en 1798.

Le S long largement utilisé dans une lettre autographe rédigée vers 1835.

Sa trop grande ressemblance avec la lettre F pousse donc progressivement les typographes à la recherche de lettres épurées et contrastées, le célèbre François-Ambroise Didot en tête, à l’abandonner.

De nos jours, il reste un domaine où le S long reste en usage : celui des mathématiques. En effet, l’opérateur mathématique associé à l’intégration est un S allongé, dérivé du S long. Introduit par Gottfried Wilhelm Leibniz, ce dernier s’est inspiré de l’initiale du mot latin summa, (pour « somme »), lequel était écrit ſumma.

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J. M. Sultan
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